Source : Le Monde - Audrey Paillasse - 11/7/2018
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi émis par les associations mobilisées pour la fermeture de l’annexe du tribunal de Bobigny à Roissy-Charles-de-Gaulle.
La Cour de cassation a refusé mercredi, d’invalider la décision de la cour d’appel du 30 octobre 2017, qui avait déjà rejeté les arguments de six associations contre la tenue d’audiences délocalisées dans la zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI 3) de Roissy (Val-d’Oise). Les étrangers à qui la France a refusé l’entrée sur son territoire continueront donc à être jugés au pied des pistes, dans l’annexe du tribunal de Bobigny.
La Cour de cassation estime que les conditions sont réunies pour l’exercice d’une justice en bonne et due forme, qu’elles sont en conformité avec la loi, et qu’aucun des doutes formulés par l’accusation concernant l’indépendance et l’impartialité de la justice ne sont fondés.
La présidente de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Laure Blondel, se dit surprise par la décision : « On ne s’attendait pas à un rejet si franc, et on reste persuadés que le dispositif porte atteinte au droit à un procès équitable. »
Un rapport d’analyse des audiences sur un an
Dans une note d’analyse publiée également mercredi, l’Anafé dresse la liste des dysfonctionnements qui ont été constatés depuis un an à Roissy. Elle se base sur 35 compte-rendus d’observations d’audiences réalisés par les militants de l’Anafé et d’autres associations. Le document de 22 pages revient notamment sur l’imbrication de la salle d’audience dans la zone d’attente de l’aéroport, assurant que cette configuration jette le trouble chez le justiciable, qui n’aurait pas conscience « qu’il quitte un lieu de privation de liberté pour entrer dans un tribunal ».
Lors de l’audience en chambre de cassation du 3 juillet, Me Zribi s’était même risqué à une comparaison avec un tribunal correctionnel qui serait accolé à un centre pénitientiaire. Elle insistait sur « l’apparence d’une bonne justice », absente selon elle à Roissy. Comme preuve du désarroi des justiciables, elle rapportait ce dialogue, retranscrit en décembre 2017 :
– « La juge : Vous savez qui je suis ?
– Madame : Le juge de la liberté et de la détention en même temps [rires dans la salle]. »
Un sentiment de confusion renforcé selon le document par une forte présence policière, et une « apparence de connivence » entre les forces de l’ordre, les juges et les avocats. Les auteurs de la note décrivent une scène qui aurait eu lieu au mois de février, au cours de laquelle l’avocat de l’administration discute avec l’avocate d’un étranger : « Ils s’appellent par leurs prénoms. Elle lui fait part de ses doutes sur la stratégie qu’elle a mis en place (...) L’avocat de l’administration lui dit que sa stratégie tient la route. »
Autres épisodes de nature à entraver le bon déroulement des audiences : l’absence ou le retard d’interprètes, de greffiers ou de juges, du fait de l’isolement de la salle, selon l’association. « Une interprète en géorgien indique qu’elle n’était pas présente le matin car elle a mis une heure trente avant de trouver l’annexe du tribunal de grande instance » indiquent les auteurs du document. Des difficultés qui font également baisser la fréquentation du public. « Le principe fondamental de la publicité des débats (...) n’est à l’évidence pas permis », dénoncent les associations.
Ce nouveau revers judiciaire ne devrait pas stopper la mobilisation des militants, qui se disent prêt à poursuivre le combat, peut-être même devant la Cour européenne des droits de l’homme.