Source : Mediapart - Géraldine Delacroix - 2/11/2019
L’agence européenne de surveillance des frontières voulait pister en ligne les migrants afin de faciliter ses opérations.
Les postulants avaient jusqu’au mardi 5 novembre pour répondre à l’appel d’offres « pour la fourniture de services d’analyse des réseaux sociaux concernant les tendances et les prévisions en matière de migration irrégulière » lancé fin septembre par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières (lire notre article). Mais celle-ci a préféré annuler l’opération. Pour combien de temps ?
Frontex souhaitait que « les interactions, les conversations et le contenu des réseaux sociaux générés à l’aide de différentes plateformes » soient analysés pour « améliorer » en premier lieu « l’analyse des risques concernant les futurs mouvements migratoires irréguliers susceptibles d’avoir un impact sur les frontières extérieures de l’UE et de la zone Schengen », et en second lieu « améliorer » aussi « la planification, la conduite et l’évaluation d’opérations conjointes coordonnées par Frontex (aux frontières maritimes, terrestres et aériennes, y compris les opérations de retour) ».
L’agence avait prévu un budget de 400 000 euros hors taxes, pour une durée de 16 mois, reconduite au plus deux fois 12 mois.
Le projet avait été jugé « hallucinant » par Damien Carême, député européen (EELV) et ancien maire de Grande-Synthe (Nord), où il avait favorisé l’accueil des migrants.
Interrogée par Mediapart, Frontex justifie l’abandon de la procédure par « l’entrée en vigueur prochaine du nouveau règlement » des gardes-côtes et gardes-frontières européens – qui doit tripler son budget, lequel passera de 330 millions à un milliard d’euros par an. L’explication est douteuse : encore en attente d’un accord formel du Conseil, ce nouveau règlement a été adopté en avril 2019 par le Parlement européen. On voit mal comment Frontex aurait pu l’ignorer.« L’explication ne semble pas particulièrement crédible », estime également l’association Privacy International, interrogée par Mediapart, « puisqu’elle suggère que l’agence n’a pris connaissance que maintenant du règlement qui régit son propre mandat ».
« Néanmoins, il est clairement positif que Frontex ait pris la bonne décision », poursuit Privacy International. « Le plan de surveillance des migrants et des personnes qui communiquent avec eux [aurait créé] un précédent extrêmement dangereux », et l’agence « n’aurait jamais dû aller aussi loin ». L’abandon de la procédure « devrait être une leçon non seulement pour l’agence, mais aussi pour tous ceux qui se sentent habilités à exploiter les technologies modernes pour la surveillance sans se soucier de l’impact sur les droits des personnes ».
Chassé par la porte, il est pourtant à craindre que le plan de surveillance ne revienne par la fenêtre : « Nous examinerons comment le nouveau cadre juridique va modifier nos besoins opérationnels et, par conséquent, la documentation de l'appel d’offres », nous précise Frontex.