Source : Le monde - Cécile Ducourtieux - 30/11/2020
France et Royaume-Uni se sont mis d’accord pour limiter les traversées de la Manche, en hausse avant le Brexit.
Après des semaines de discussions, Paris et Londres ont confirmé, samedi 28 novembre, un nouvel accord franco-britannique pour mieux lutter contre les passeurs et prévenir les traversées de la Manche par les migrants. Priti Patel, ministre de l’intérieur britannique, s’est félicitée du « doublement » des effectifs de gendarmes et de policiers français patrouillant les 150 kilomètres de côte faisant face au Royaume-Uni. Son homologue, Gérald Darmanin, a insisté de son côté, dans un communiqué, sur « l’investissement financier supplémentaire de 31,4 millions d’euros » consenti par les Britanniques pour « soutenir les efforts importants de la France contre les traversées irrégulières ».
L’argent ira aussi à la construction « de logements appropriés » en France pour soustraire les migrants aux passeurs, à l’achat de drones ou de caméras de surveillance pour mieux surveiller les plages, et sécuriser les ports et l’entrée du tunnel sous la Manche, où les migrants tentent régulièrement de monter dans les camions prêts pour la traversée. Le 19 novembre, Mohamed Khamisse Zakaria, un jeune homme originaire du Soudan, a perdu la vie, percuté par une voiture sur l’A16, alors qu’il fuyait les gaz lacrymogènes de la police après avoir tenté de monter dans un camion.
« Des gens ordinaires »
Cet été, Priti Patel, une brexiter de la première heure, avait durci le ton après une hausse historique du nombre de traversées du Channel par des « small boats », pour la plupart des bateaux pneumatiques. En août, à la faveur du beau temps, 1 500 personnes ont réussi la traversée et, sur l’ensemble de l’année 2020, environ 8 000 migrants pourraient avoir atteint les côtes du Kent, côté britannique. A comparer aux 1 835 passages recensés en 2019 par l’agence Press Association.
Fin octobre, les membres d’une famille iranienne d’origine kurde sont morts noyés (Rasoul Iran-Nejad, le père, Shiva Mohammad Panahi, sa femme, et deux de leurs enfants), dans le Channel, une des voies maritimes les plus denses au monde. Ce drame s’ajoute à bien d’autres : selon l’Institute of Race Relations, un think tank, près de 300 personnes ont perdu la vie entre les côtes françaises et britanniques entre 1999 et 2020. « Cet accord [franco-britannique] pour davantage de surveillance, de drones et de radars, fait penser à un pays qui se prépare à l’arrivée d’ennemis. Mais [les gens qui tentent le passage] sont des gens ordinaires, des ingénieurs, des agriculteurs avec leurs familles, pas des criminels », a déclaré au Guardian Clare Moseley, fondatrice de l’association humanitaire Care4Calais.
Orientation sécuritaire
Mi-juillet, Mme Patel, qui avait promis une mise en œuvre scrupuleuse d’une des principales promesses du Brexit – la reprise des contrôles des frontières –, a d’abord accusé la France de ne pas en faire assez. Puis, tandis que le nationaliste Nigel Farage, patron du Brexit Party, multipliait les prises de parole en dénonçant la supposée inertie du Home Office, ce dernier a distillé dans la presse des idées plus ou moins réalistes (refouler les small boats parvenus dans les eaux britanniques vers la France, installer des générateurs de vagues pour les repousser vers les eaux françaises…). Paris et Londres ont fini par renégocier leur coopération, les passages étant en partie encouragés par la perspective du Brexit et d’une politique migratoire britannique encore plus restrictive.
Priti Patel a aussi réitéré, samedi, sa promesse d’une révision de la loi sur l’asile britannique, pour des règles plus « fermes et justes » après la fin de la période de transition, dès le 1er janvier 2021, quand le pays aura définitivement quitté l’Union européenne. Preuve, s’il en était besoin, de l’orientation très sécuritaire du gouvernement Johnson : le Home Office a prévu l’expulsion de 50 Britanniques d’origine jamaïcaine, le 2 décembre, pour la plupart des hommes ayant purgé une peine de prison. Plus de 80 figures noires du pays (l’écrivaine Bernardine Evaristo, l’historien David Olusoga) ont pourtant protesté, rappelant que le Home Office avait été reconnu coupable, il y a à peine deux ans, d’avoir instauré un « climat hostile » après avoir dénié leur nationalité à des milliers de Britanniques venus pour la plupart de Jamaïque entre les années 1950 et 1970.