FINI DE RIRE | 13/07/2014
Tentative de décodage de la persistance des autorités à toujours plus renvoyer les étrangers à la fragilité de leur (non)statut et à l'incertitude du lendemain.
A., jeune père de famille arménien, a fui son pays avec femme et enfants en 2013 pour échapper aux menaces qui pesaient sur eux. Ils demandent l'asile depuis Rennes, asile qui leur est refusé; la logique administrative veut qu'ils repartent dans le pays qu'ils ont fui. La famille est donc assignés à résidence pour faciliter son expulsion. Le vendredi 4 juillet, A. est convoqué seul à la gendarmerie, il sera expulsé le lundi suivant, malgré un soutien fort des voisins dans le bourg breton (2700 habitants) où ils travaillent à leur intégration. En route, dialogue entre une amie française de A. et un policier de l'escorte :
"Ne vous inquiétez pas, Madame, nous nous occupons de lui. Nous allons l'escorter jusqu'à Erevan et le confier aux autorités arméniennes". Je lui réponds que ces nouvelles ne me rassurent pas du tout. "Il n'a pas d’interdiction de retour, à vous de le faire revenir au plus vite" ! La police a donc sciemment laissé la femme de A. seule à Rennes avec leurs trois enfants. Pour quelle raison agit-elle ainsi?
a. Pour encourager la jeune femme à repartir à ses frais vers l'Arménie avec les enfants pour réunir la famille, ce qui fera économiser l'argent du contribuable.
b. La famille se retrouve coincée en France; ayant perdu la capacité de travail du père pour subvenir à ses besoins, elle se trouvera à la charge de ces imprudents droit-de-l'hommistes qui soutiennent les étrangers indésirables : qu'ils assument !
c. En expulsant le père, j'applique la loi ; mais comme je reconnais que c'est insupportable et que je suis humain, je ne vais pas imposer cela à la femme et aux enfants.
d. D'ailleurs, comme l'exécutant de ma décision l'a prédit, ce monsieur va revenir, fournissant du travail aux passeurs que je dois aussi traquer, ce qui renforcera ma légitimité.
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C. arrive en France, seule, en août 2012, en provenance du Congo (RDC). Elle est âgée de 13 ans et 8 mois. Mineure isolée, elle est prise en charge par l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance, relevant du conseil général). Tout va bien pendant deux années scolaires, elle suit avec succès une formation pour être cuisinière. Mais, dans le département du Rhône comme dans d'autres, l'ASE cherche "la fraude à la minorité". Un matin de juin 2014 (elle a maintenant 15 ans et demi), la PAF (police aux frontières) la cueille chez elle, perquisitionne sa chambre et la conduit de force à une laboratoire pour un de ces tests de majorité osseuse dont la fiabilité est niée par les médecins et dont l'usage devrait être interdit, selon la commission nationale des droits de l’homme (CNDH, dans un avis du 26 juin 2014). Miracle de la médecine policière: l'âge de C. est compris entre 18 et ... 35 ans ! C. est alors traduite en correctionnelle; elle est condamnée à un mois de prison pour escroquerie envers l'ASE, malgré un acte de naissance dont l'authenticiré n'est pas suspecte. Sortant de prison le 7 juillet 2014, elle est immédiatement conduite au centre de rétention administrative en vue de son expulsion. C'est la juge des libertés et de la détention qui la fera libérer, le 11 juillet, après une ultime angoisse, le procureur ayant fait appel de la décision, en vain. Pour quelle raison l'autorité agit-elle ainsi ?
a. Pour rétablir la parité, une action semblable ayant conduit deux mois auparavant un garçon africain en prison sur le même motif.
b. Pour faire entendre aux divers soutiens de l'adolescente qu'ils sont bien naïfs de se laisser tromper par ces fieffés fraudeurs que sont les étrangers; surtout à 15 ans.
c. Bien faire comprendre à la demoiselle qu'elle est de trop, qu'on ne veut pas d'elle et qu'elle devra se battre toute sa vie pour justifier sa présence.
d. Assécher un peu partout dans le monde les sources d'où proviennent ces enfants, dont le nombre augmente régulièrement ?
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C'est une famille roumaine, le père, la mère et leurs quatre jeunes enfants, arrivés en France en 2012. Les débuts du séjour sont faits d'errances forcées, mais le 1er janvier 2014 ils sont devenus citoyens européens à part entiére ; à ce titre ils ont le droit de séjourner plus de trois mois à condition d'avoir du travail, ou d'en rechercher. Petit à petit, la famille franchit les premières étapes d’une installation pour chacun de ses membre, aidée et encouragée par les services sociaux et le RESF. Ils ont trouvé un vrai hébergement, le père a trouvé un travail à mi-temps, peu payé mais c'est un travail. La mère est inscrite à Pôle Emploi, les enfants dans les écoles et collèges alentour. A partir d'une OQTF de janvier 2014 qu'elle n'avait pas contestée, la mère a été expulsée le 8 juillet 2014 : pour compléter le maigre budget familial, elle mendiait ! Pour quelle raison l'autorité agit-elle ainsi?
a. La famille est rom, et le préfet croit savoir, comme le chante Brel, que "chez ces gens là, monsieur, on ne vit pas,... on triche".
b. Décourager les travailleurs travailleurs sociaux de s'investir pour ces gens là.
c. Briser ce qui est engagé par cette famille pour son intégration avant que leurs efforts ne commencent à payer.
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Début juin 2014, un incendie ravageait un immeuble d'Aubervilliers (Seine Saint Denis). Le bilan humain est lourd, plusieurs morts, des blessés. Mais le sang-froid d'un habitant du premier étage a permis de limiter les pertes : plutôt que de s'enfuir pour sauver sa peau, il est monté dans les étages alerter ses voisins, sauvant ainsi plusieurs vies. Ce jeune homme tunisien vivait depuis trois ans en France sans papiers. Dix jours plus tard le préfet lui octroyait un titre de séjour !
Début juillet 2014, juste avant la fin de l'année scolaire, une professeure des écoles meurt poignardée par une mère d'élève. Cette jeune femme soutenait depuis plusieurs années une famille gambienne dans sa quête de régularisation. Suite à ce drame, la-préfète du Tarn annonce qu'elle va régulariser le séjour de cette famille !
Contrairement à la jeune mère roumaine ou à la collégienne congolaise, ni le valeureux sauveteur tunisien, ni la famille gambienne du Tarn, ni le jeune père de famille arménien "ne remplissaient les conditions légales d'une régularisation". Bilan: en à peine un mois, deux expulsions effectuées (la police sachant pertinemment que les expulsés reviendront rejoindre leur famille en France), une autre évitée de justesse, deux régularisations par le fait du prince. Quelle présence de l'État de droit dans tout cela ?
a. ?
b. ??
c. ???
Martine et Jean-Claude Vernier