Source : Médiapart - Antton Rouget - 20/09/2017
Dans un rapport de visite au centre de rétention d’Hendaye, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté dénonce l’attitude de certains fonctionnaires de police.
Le comportement de policiers du centre de rétention administrative (CRA) d'Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) est une nouvelle fois au cœur des débats. Dans un rapport de visite de l'établissement de la ville frontière, révélé en exclusivité par Mediapart (le lire en intégralité ici), les services de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan dénoncent l'attitude de plusieurs gardiens du centre, dont les débordements ont déjà été mis en lumière par les représentants locaux de la Cimade.
Cette situation a conduit à la condamnation exceptionnelle de deux agents en juin 2016. Reconnus coupables de menaces et insultes à l’encontre d’un ressortissant étranger en juillet 2014, les deux policiers ont écopé de trois mois de prison avec sursis par la cour d'appel de Pau. L’un des deux agents, déjà pris en faute dans son « comportement professionnel » par le passé, a carrément été exclu de la police.
Au terme de sa visite menée cinq mois après cet incident grave, la CGLPL ne mâche pas ses mots pour définir l'ambiance qui règne au sein de l'établissement : celle-ci est décrite comme « tantôt bonhomme conduisant à des tolérances inhabituelles tant pour les retenus – durée et teneur des visites – que pour les fonctionnaires – consommation de nourriture et de produits alcoolisés pendant le service –, tantôt méprisante ou “musclée” à l’égard des personnes retenues ». Le rapport recense une liste impressionnante d'humiliations à l'encontre des étrangers du centre : « Comportements menaçants de la part de certains policiers, imitation des accents étrangers pour répondre aux retenus, moqueries qui ont pu aller jusqu’à imiter au haut-parleur l’appel du muezzin. »
Cette situation ahurissante est notamment expliquée par les difficultés professionnelles rencontrées par une partie des trente-cinq agents alors en fonction : « Pour des motifs de mobilité ou d’opportunités de carrière, [ils] y sont, pour certains, en poste depuis un temps qui semble les avoir éloignés de toute réflexion sur leurs pratiques professionnelles », relève la CGLPL. De 2013 à 2014, pas moins de douze gardiens ont ainsi été sanctionnés : quatre d’un avertissement ; quatre d’une lettre de mise en garde ; un d’un blâme et trois d’une suspension.
« Les trucs administratifs, ça ne nous regarde pas »
Ces attitudes se matérialisent tout au long de la durée de rétention. « Certains policiers prennent le temps, en accompagnant l’arrivant vers sa chambre, de lui présenter les lieux, lui montrer les bureaux de chacun des intervenants et lui expliquer leurs missions. » Mais, déplore la contrôleure, « cette pratique n’est malheureusement pas le fait de tous les policiers ». De même, la CGLPL a constaté que « la plupart des personnes retenues étaient inactives et que les différents jeux [mis à leur disposition – ndlr] n’étaient pas suffisamment distribués ou renouvelés ».
Le manque de considération a aussi durement affecté l'exercice des droits des personnes retenues. Les agents du CRA ont même expliqué aux services de la CGLPL que « les trucs administratifs, ça ne nous regarde pas, on renvoie à la Cimade », dont deux salariés assuraient le suivi pour la vingtaines d'étrangers sur place. Sauf que lorsque la libération d'un retenu intervient en dehors des heures de permanence de la Cimade, « l’étranger partira sans savoir la procédure qu’il doit suivre », dénonce la contrôleure. De même, les étrangers libérés avant la limite légale de durée de rétention ne sont pas « informés du motif de la libération et ne sont donc pas mis en mesure d’en tirer les conséquences administratives ». Ainsi, note la CGLPL, « les personnes dont la mesure d’éloignement est annulée en raison de leur état de santé n’en sont pas informées ». Conséquence directe : « Alors qu’elles devraient se présenter à la préfecture pour déposer une demande de titre de séjour en qualité d’étranger malade sur le fondement de l’avis du médecin de l’agence régionale de santé […], elles ignorent pouvoir le faire. »
Il y a encore plus grave. Tandis qu'au détour de « nombreux mouvements de retraits d’espèces », des fonctionnaires auraient « repéré l’exercice d’un commerce sexuel dans les locaux de rétention », aucun signalement n'a jamais été effectué. Dans sa réponse à la CGLPL, le chef du CRA fait valoir que « les rapports sexuels entre adultes consentants ne sont pas proscrits » et qu’« à ce jour, aucun retenu n’a fait état d’incident à caractère sexuel, que ce soit directement ou par le biais du personnel médical, des agents de l’OFII [office français de l'immigration et de l'intégration] ou de la Cimade ». « Nous n'avons jusqu'ici jamais été informés de ces lourds soupçons des policiers ! » s'indigne auprès de Mediapart Francisco Sanchez Rodriguez, juriste de la Cimade, en poste à Hendaye à cette période. « Tout cela montre que les agents étaient complétement dépassés par la situation du centre. » « La manière de servir des policiers affectés au centre doit faire l’objet d’un recadrage rigoureux », juge pour sa part la contrôleure, estimant que les « principes éthiques devant guider leur comportement doivent être rappelés et leur respect vérifié ».