En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies pour vous proposer des services adaptés.

cdv logo  

Le Cercle des Voisins

Informe de l'atteinte à la dignité et aux droits humains que représente l’existence et le fonctionnement du «Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu», défend la libre circulation des personnes et dénonce le système mis en place pour l’expulsion des personnes privées de papiers.

logo EGM Toulouse

Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source :  BuzzFeed News - Theo Englebert - 07/09/2017

Info BuzzFeed News– Depuis 2006, l’État affrète des avions d'affaires pour renvoyer aux frontières des migrants dans le reste de l'Europe. Ces vols ont déjà coûté plusieurs dizaines de millions d'euros. Nous avons retrouvé les appels d'offres et réalisé la carte des vols opérés par ces appareils depuis un an.

Centre de rétention administrative de Vincennes, mercredi 9 août, il est environ
5h20 du matin. Onze agents de la Police aux frontières (PAF) viennent tirer Ahmad Sadid et quatre autres demandeurs d'asile afghans de leur sommeil. Tous peuvent être renvoyés vers la Suède, pays où ils ont déposé leur première demande d'asile.
Ils ont déjà refusé de monter dans des vols réguliers au départ de Roissy Charles de
Gaulle. Ils ne le savent pas, mais cette fois-ci, le procédé est différent.

«Il n'y avait que des petits avions dans des hangars», raconte Ahmad par téléphone, à BuzzFeed News. Ce père de famille a d'abord crû qu'il foulait le tarmac d'un aérodrome militaire. Il était en fait au Bourget, aéroport d'ordinaire réservé à l'aviation d'affaires. À 8h14, Ahmad, les autres demandeurs d'asile et les onze policiers qui les escortent décollent à bord d'un Beechcraft 1900D immatriculé F-GLNE. «Nous n'avions ni eau, ni nourriture, ni possibilité d'aller aux toilettes», raconte Ahmad, «les policiers ne s'occupaient pas vraiment de nous. Ils rigolaient et prenaient des photos à travers les hublots.» À midi, l'avion se pose à Stockholm après une escale à Copenhague. Trois des cinq Afghans seront renvoyés dans les jours suivants. Direction Kaboul.

Les autorités disposent d'un temps limité pour renvoyer des personnes placées en centre de rétention ou assignées à résidence. Les délais légaux passés, elles doivent être remises en liberté. Une situation que l'administration française veut éviter à tout prix. Il s'agit donc de renvoyer, coûte que coûte. Alors, discrètement, des avions privés affrétés par la PAF décollent quasi-quotidiennement du Bourget. Ils sillonnent l'Europe, avec à leur bord, des demandeurs d'asile déboutés.

Depuis 2007, plusieurs articles de presse ont mis en lumière l'utilisation d'un appareil privé loué par le ministère de l'Intérieur pour déplacer des demandeurs d'asile. Notre enquête, qui s'appuie sur tous les appels d'offres lancés depuis 2006 montre qu'il n'y a pas un mais plusieurs avions, qu'ils ne servent pas seulement à déplacer les migrants en France en fonction des places disponibles dans les centres de rétention, mais aussi à les renvoyer et qu'ils tournent à plein régime depuis au moins un an.

D'après les appels d'offres que nous avons consultés et les témoignages que nous avons recueillis, près de 34 millions d'euros ont été consacrés à la location de ces appareils depuis onze ans. Une enveloppe qui ne prend en compte ni le coût du kérosène, ni le salaire des fonctionnaires de police mobilisés.

Photo d'archive d'un des avions loués par le Ministère de l'Intérieur, immatriculé F-GLNE.

Des vols presque quotidiens

Il y a plusieurs moyens de renvoyer des étrangers en situation irrégulière: le plus souvent, l'État réserve des places sur des lignes commerciales, que ce soit pour des voyages en avion, en train ou en bateau. La police aux frontières peut aussi ponctuellement louer un avion à une compagnie charter pour renvoyer plusieurs dizaines d'étrangers d'un coup. Enfin, elle peut louer des avions beaucoup plus petits, des Beechcraft, pour reconduire trois, quatre ou cinq migrants. Ce type de location d'un avion avec moins de 19 passagers apparait sous l'onglet «aviation d'affaires» sur le site de Twin Jet, l'une des compagnies à laquelle la PAF loue des avions.

  Capture d'écran du site de la compagnie Twin Jet qui loue ses avions d'affaires à la police aux frontières

La compagnie met en avant les avantages d'un tel service sur son site: «confidentialité, rapidité, efficacité». Trois qualités qui séduisent beaucoup la PAF en ce moment. Ces derniers temps, ces Beechcraft tournent à plein régime.

Grâce à l'«indicatif d'appel» spécial qui identifie les appareils destinés au transport de migrants (POF75), nous avons pu retrouver de nombreux vols opérés dans toute l'Union européenne (UE). Nous avons regroupé les données disponibles de juin 2016 à août 2017 sur cette carte:

 

Screen Shot 2017-10-07 at 14.03.43.png

Cette carte a été mise au point par BuzzFeed News avec les données provenant de ADS-B Exchange, une base de données tenue par des amateurs, qui identifient des avions en vol à partir de leurs émissions radio. Elles sont partielles: tous les vols ne sont peut-être pas couverts, et les trajets ne sont pas représentés dans leur intégralité. Tous les vols effectués dans la même journée sont représentés par un trait continu en rouge.

On distingue clairement les destinations privilégiées par la PAF pour ces «éloignements». L'Italie, principale porte d'entrée de l'Europe pour les migrants, figure au premier rang de ces pays. En vertu du règlement Dublin III de l'UE, le premier pays dans lequel a été formulée une demande d'asile est celui qui est chargé de la prise en charge des migrants.

Des appels d'offres pour des «missions d'éloignement»

Mais ces renvois en avions d'affaires ne datent pas d'hier. En prenant le temps de fouiller dans le Journal Officiel depuis une quinzaine d'années, nous avons pu retrouver tous les appels d'offres qui ont été passés pour louer ces appareils. La première occurrence remonte à juin 2006. À cette date, un appel d'offres est lancé par le ministère de l'Intérieur. Il concerne la location à la police nationale d'un avion pour des «missions de liaison, de transport de personnel et de fret». Sans plus de précision concernant ces missions. Ce marché de 12 mois renouvelable trois fois sera attribué à la compagnie Twin Jet. Coût pour le contribuable: 6.186.860 euros.

  Extrait du premier appel d'offres passé pour la location d'un appareil «d'une capacité maximum de 19 places».
 

La location de ce Beechraft «piloté par des agents de la PAF» est évoquée par Le Monde en juin 2007. «Cet avion permet d'acheminer les étrangers en instance d'éloignement, du centre de rétention vers l'aéroport de départ, mais également de reconduire des personnes jusqu'en Europe centrale et dans les Balkans», écrit alors le quotidien. Dans un contexte où les personnels d'Air France vivent de plus en plus mal les renvois à bord des avions de ligne, «le Beech offre plus de souplesse et assure à la PAF une plus grande indépendance qu'une compagnie régulière», souligne à l'époque Jean-Yves Topin, directeur adjoint de la PAF, au Monde.

En 2008, un nouvel appel d'offres, similaire, est lancé. Cette fois, il est clairement stipulé qu'il relève du budget de la police nationale consacré à l'immigration et l'asile. C'est encore Twin Jet qui rafle la mise. 3.430.544 euros pour un an, susceptible d'être renouvelé vingt mois supplémentaires.

L'intitulé du troisième appel d'offres est sans ambiguïté. En 2010, le ministère de l'Intérieur cherche un avion «pour la sous-direction de l'éloignement et la direction de la police nationale, afin d'assurer des missions d'éloignement et de liaison». Cette fois, c'est la compagnie Chalair Aviation, basée à Caen, qui remporte le marché pour 3.435.675 €. Un article du Parisien raconte les problèmes techniques rencontrés par «l'avion des sans-papiers» à l'époque. Une source proche du dossier nous confirme que l’État a reconduit deux fois sa collaboration avec la compagnie normande, comme l'appel d'offres initial le permettait.

Extrait de l'appel d'offres passé en 2010 par le ministère de l'Intérieur.

Twin Jet récupérera le marché des renvois en avions privés en février 2015. Ses avions sont mis à la disposition de la police, pour la somme de 1,5 millions d'euros. Cette année-là, les appareils de Twin Jet ont notamment servi à vider la jungle de Calais, comme l'a montré StreetPress dans une enquête d'octobre 2015.

Selon une annexe du budget prévisionnel 2017 du ministère de l'Intérieur, c'est bien dans le cadre de «l'éloignement des migrants en situation irrégulière» que l'État a prévu de consacrer 3,72 millions d'euros à la location de ces avions d'affaires et à l'utilisation d'un Bombardier de la sécurité civile cette année. Ce budget a récemment explosé (+ 62% par rapport aux 2,30 millions d'euros prévus dans la loi de finances initiale de 2016), «compte tenu de la hausse du nombre d'éloignements opérés». La location de ces avions représente près de 10% du budget consacré au renvoi à la frontière.

Au moins 14,5 millions d'euros pour louer ces avions

Le total des montants figurant sur les avis d'attribution parus au Journal officiel s'élève donc à 14,5 millions d'euros. Mais ce chiffre ne prend pas en compte les éventuelles reconductions de ces marchés prévues dans les appels d'offres. L'appel d'offres de 2010 a été reconduit deux fois selon nos informations. Mais qu'en est-il des autres appels d'offres? Difficile à savoir dans la mesure où ces reconductions ne font pas l'objet d'une publication au JO. Mais, nous avons constaté que certains des appels d'offres commencent précisément au moment où se termine la reconduction prévue dans l'appel d'offres précédent.

Par exemple, le 24 septembre 2008, un appel d'offres est attribué à Twin Jet pour une période d'un an, reconductible une fois douze mois et une autre fois huit mois. Cet appel d'offres peut donc être attribué pour deux ans et huit mois au total s'il est reconduit à chaque fois. Or, l'appel d'offres suivant est justement attribué le 26 mai 2011, très exactement deux ans et huit mois après l'appel d'offres précédent...

Nous avons sollicité plusieurs fois, Olivier Manaut le président de la compagnie Twin Jet au sujet de ces reconductions, mais ce dernier n'a pas souhaité nous répondre sur ce point. Le ministère de l'Intérieur n'a pas non plus souhaité nous répondre.

En épluchant la presse, on retrouve malgré tout la trace de l'utilisation des Beechcraft 1900 en dehors des périodes initiales couvertes par les appels d'offres. Comme lors de le renvoi d'une famille géorgienne en août 2010, évoquée dans Les Inrockuptibles. Ces éléments tendent à confirmer que les appels d'offres ont donc été reconduits et que ces avions sont utilisés quasi-sans discontinuer depuis 2006. L'addition s'élèverait alors à près de 34,8 millions d'euros.

Sans compter le carburant, ni le salaire des policiers mobilisés pour piloter les avions et escorter les migrants. L'addition est d'autant plus salée que le Beechcraft 1900 ne peut transporter que 19 passagers. Le règlement obligeant la PAF à faire escorter chaque migrant par deux fonctionnaires, ces appareils ne peuvent embarquer plus de 5 à 6 migrants à la fois.

«Les pilotes sont des pilotes professionnels des services de l'État et nous ne connaissons pas leurs missions»
 

Contacté par BuzzFeed News, Olivier Manaut le président de la compagnie Twin Jet met en doute les chiffres que nous publions. «Je crois que vous vous trompez dans les chiffres, mais je ne peux pas vous en dire bien plus», nous écrit-il.

Une autre source qui travaille dans l'aviation et qui a planché sur une partie de ces appels d'offres, nous indique pour sa part que les chiffres correspondent à la réalité des contrats dont il a eu connaissance, sans nous donner plus de détails. Mais, selon une autre source aéroportuaire, les budgets que nous évoquons pourraient inclure des missions de sécurité publique «qui n'ont rien à voir» avec les demandeurs d'asile. Dans un article de 2015, Le Point évoque ainsi des transferts à bord de ces avions de détenus corses «trop turbulents pour emprunter les aéroports civils».

Interrogé sur l'utilisation des avions qu'il loue à l'Intérieur, le président de Twin Jet, nous répond que «les pilotes sont des pilotes professionnels des services de l'État et nous ne connaissons pas leurs missions».

La part des missions qui n'a rien à voir avec les demandeurs d'asile semble minime. Au cours de notre enquête, grâce à une source qui travaille dans un centre de rétention administrative (CRA) de la région parisienne, nous avons pu vérifier que plusieurs des vols opérés avec le Beechcraft coïncidaient avec la date des sorties des demandeurs d'asile des CRA et avec les destinations vers lesquelles ils étaient renvoyés. C'est notamment le cas du vol d'Ahmad vers Stockholm que nous évoquons plus haut.

Pas de réponse de l'Intérieur

Le coût de ces vols commence manifestement à alarmer le ministère de l'Intérieur: il indique dans son budget prévisionnel que «différentes pistes» sont à l'étude pour «améliorer la performance des moyens mobilisés». Ces «différentes pistes» étaient déjà mentionnées dans une annexe du projet de loi de finances 2016. Cela fait donc plus d'un an que l'Intérieur cherche une solution pour dépenser moins pour ces vols.

Depuis dix jours, nous avons contacté la Direction générale des étrangers en France du ministère de l'Intérieur, le service de communication de la police et les services du porte-parole du ministère de l'Intérieur, à plusieurs reprises, par mail et par téléphone. Mais aucune réponse ne nous a été apportée. Nous souhaitions savoir à partir de quelle date le ministère a eu recours à ces avions d'affaires, si les marchés ont été systématiquement reconduits, combien de vols étaient opérés par an et si ces pratiques ont vocation à continuer.

À la fin de notre enquête, Ahmad se trouvait dans un centre de rétention de l'île de Gotland, au sud-est de la Suède. Il attend encore de savoir s'il va être renvoyé vers Kaboul. «Ils me connaissent», dit Ahmad au sujet des talibans. Selon lui, ce sont des photos de presse d'une visite officielle de la ministre afghane du Travail, où Ahmad apparaît, qui l'ont mis en danger. «C'est clair pour moi que si je suis renvoyé en Afghanistan, ils essaieront de me séquestrer ou de me tuer.»

CORRECTION

Une première version de cet article faisait référence à des expulsions plutôt qu'à des renvois à la frontière. Les expulsions sont des mesures d'éloignement d'étrangers spécifiques, motivées par la protection de l'ordre public. Ce n'est pas nécessairement le cas des étrangers concernés par les vols de Beechcraft. L'article a été modifié pour parler de «renvoi» à la frontière, un terme générique.

Vite dit

06/06/2022 - Archarnement administratif, ca suffit !

« Comment peut-on croire qu'on sera plus heureux en faisant du mal à d'autres ? » (Hervé le Tellier – L'anomalie)

Ce mardi 7 juin 2022, Gideon est convoqué au tribunal judiciaire de Toulouse. Combien de juges a-t-il vu depuis le jour où il a été interpellé au commissariat de Pamiers ?

Au moins 7.

Le 3 mai, ce jeune gabonais de 18 ans, a été placé au centre de rétention de Cornebarrieu pour un vol prévu le 4 mai vers Libreville. Ce placement rendu possible par la loi (Article L 740-1 CESEDA) a été concrétisé par la préfecture de l'Ariège.

Il a refusé d'embarquer car toute sa famille vit en France de manière régulière. Il est scolarisé au lycée de Lavelanet et n'a plus du tout d'attache au Gabon.

Le 5 mai, le juge de la liberté et de la détention (JLD) décide de la prolongation de sa rétention (Article L742-3 CESEDA) permettant ainsi à l'administration d'organiser un nouvel 'éloignement'.

C'est le 27 mai qu'aura lieu cet 'éloignement' mais cette fois avec des techniques coercitives musclées (GTPI). Monté de force dans l'avion, Gidéon sera ligoté et molesté jusqu'au moment où le commandant de bord exigera son débarquement.

Mais s'opposer à son expulsion est un délit. Gidéon passera le soir même devant le procureur en CRPC (Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité) et sera puni d'une peine de prison de 3 mois avec sursis et 5 ans de mise à l'épreuve.

A 100 km de Toulouse, la préfète de l'Ariège reste inflexible : Gidéon doit rester enfermé pour être expulsé.

Le 2 juin, la juge JLD rendra un avis légèrement plus conciliant en lui permettant de rejoindre famille mais en l'obligeant à signer tous les jours au commissariat.

La préfecture de l'Ariège n'a pas apprécié cette décision. Elle a fait appel et l'audience aura lieu ce mardi 7 juin à 9h45 au palais de justice de Toulouse.

Si vous venez à cette audience, vous ne verrez pas le ou la signataire de cet appel. Il ou elle se fera représenter par un ou une porte-parole bien obéissant.e.

On sait qu'un nouveau vol a été demandé par la préfecture et si Gidéon le refuse, il risque cette fois 3 ans d’emprisonnement et une interdiction du territoire de 10 ans.

Depuis ses 18 ans, Gidéon vit sous la menace d'une arrestation, d'une expulsion !

Ce 6 juin, c'est son anniversaire. Il a 19 ans.

 

Visites au CRA

Archive

Powered by mod LCA