Source : Le Monde - Jean-Pierre Stroobants - 22/8/2018
Le gouvernement du libéral Charles Michel a récemment ouvert un centre fermé pour accueillir les familles en attente d’expulsion.
Des Femen piétinent un tapis de fleurs sur la Grand-Place de Bruxelles, et clament que le « scandale » n’est pas leur poitrine dénudée mais le fait d’emprisonner des enfants. C’était, dimanche 19 août, le dernier épisode d’une mobilisation estivale contre l’une des décisions les plus contestées du gouvernement du libéral Charles Michel : l’ouverture, à deux pas de l’aéroport de Zaventem, d’« unités spéciales » pour des immigrés illégaux et leurs enfants en attente d’expulsion.
Un couple de Serbes et ses quatre enfants mineurs – nés en Belgique – est le premier à être retenu dans cette aile jouxtant le « centre fermé 127 bis » de Steenokkerzeel, un centre de rétention où se retrouvent des clandestins et interdit à la presse. Selon l’Office belge des étrangers, la famille séjournait illégalement dans le royaume depuis 2012 ou 2013. Le père a été condamné pour des vols avec violence.
Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), l’Unicef, le Conseil de l’Europe, des avocats, le Centre fédéral pour la migration et quelque 300 institutions ont protesté contre l’ouverture de ces unités et réclamé une interdiction générale de l’enfermement d’enfants. Le délégué francophone aux droits de l’enfant évoque une « violation flagrante » de la Convention internationale qui protège les droits des mineurs. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné à plusieurs reprises le royaume parce qu’il emprisonnait des enfants.
« Impact terrible »
Ce sont ces arrêts qui avaient poussé les autorités à créer, après 2008, des « maisons de retour ouvertes » – initiative saluée par diverses ONG mais jugée inefficace par le gouvernement de M. Michel, qui souligne qu’un tiers des familles concernées prend la fuite avant une expulsion prévue. Cela a été le cas de la famille serbe qui s’est, par deux fois, évanouie dans la nature alors qu’elle avait épuisé tous les recours.
Pas de quoi convaincre Philippe Hensmans, le directeur de la branche francophone d’Amnesty International, qui évoque « l’impact terrible » d’un emprisonnement sur des enfants, « littéralement en prison alors que les parents voulaient seulement une vie meilleure ». Un propos appuyé par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui souligne que « les enfants ne devraient jamais être détenus pour des raisons liées au statut migratoire de leurs parents ».
La direction du centre fermé et l’Office des étrangers répondent que la durée de détention sera limitée à un mois au maximum, que l’important est de ne pas séparer des familles et qu’un soin particulier a été apporté à l’aménagement des lieux, avec un souci pour l’encadrement des mineurs. Les « unités spéciales » jouxtent cependant une piste d’atterrissage et de décollage, cachée par des bâches, et, pour jouer à l’extérieur de leur logement, les enfants devront mettre un casque insonorisant.
« Une cage est une cage »
Dans une tribune du quotidien L’Echo, Olivier Marquet, directeur général d’Unicef Belgique, a répondu de manière cinglante aux autorités : « Pas question de prendre part aux discussions triviales sur le type de cages dans lesquelles les enfants se retrouveront. Une cage est une cage, et même dans la plus dorée, il n’y a pas de place pour un enfant. »
Theo Francken, secrétaire d’Etat à la migration, membre du parti nationaliste flamand N-VA et principale cible des opposants à la politique gouvernementale, assure que l’arrêté permettant la détention est inattaquable au plan juridique, et que la Belgique n’est pas le seul Etat européen à autoriser l’enfermement des mineurs dans des centres de rétention administrative.
Il cite notamment la France, où il est effectivement légal. L’association Cimade a recensé plus d’une centaine de cas depuis le début de l’année et dénonce des conditions matérielles « extrêmement sommaires » dans ces institutions, où se retrouvent parfois des nourrissons. La durée maximale du séjour y est de quarante-cinq jours. Comme la Belgique, la France a été condamnée à plusieurs reprises – six fois – par la CEDH.
Jurisprudence
D’autres pays (Bulgarie, Grèce) emprisonnent massivement des migrants mineurs ; l’Allemagne et les Pays-Bas disposent aussi de législations destinées, en fait, à organiser les rapatriements et à protéger des enfants si leurs parents se livrent à des activités criminelles.
C’était, aussi, l’objectif d’une loi belge adoptée en 2011, approuvée à l’époque par de nombreux partis de la majorité et de l’opposition. Le texte voulait, d’un côté, clarifier des dispositions qui avaient permis d’enfermer, au total, quelque 2 000 enfants, selon les calculs du député centriste Georges Dallemagne, et en parallèle, généraliser le principe des « maisons ouvertes ». Mais la loi permettait cependant aussi à un futur gouvernement de créer des unités fermées, comme l’a décidé celui de M. Michel.
Des associations, s’appuyant sur une initiative citoyenne baptisée # NotInMyName, espèrent sans trop y croire infléchir la politique de M. Francken. Il leur faudrait aussi – et ce sera plus difficile encore – renverser la jurisprudence : les tribunaux, appuyés par la Cour de cassation, estiment généralement que si des parents sont incarcérés, l’intérêt supérieur de l’enfant est de ne pas être séparé d’eux. Pour les avocats, ils sont, dès lors, bel et bien des détenus ; pour les juges, ils sont protégés.