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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Le Monde - Sylvia Zappi - 14/8/2018

La plongée dans le quotidien de Champagne-sur-Seine et de Pessat-Villeneuve, où sont logés de jeunes hommes et des familles originaires d’Afghanistan, de Somalie ou d’Erythrée, révèle deux ambiances, entre racisme latent et élans de solidarité.

Elles furent parmi les premières communes à accueillir des réfugiés en septembre 2015. Champagne-sur-Seine et Pessat-Villeneuve ont vu repartir, depuis, ces « migrants Merkel » comme certains les avaient alors appelés au moment où la France s’était engagée à accueillir 24 000 réfugiés venus d’Allemagne. D’autres, arrivés après les démantèlements des camps de la région parisienne et de Calais, ou envoyés par l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ont suivi. La petite ville ouvrière de Seine-et-Marne et ce village cossu du Puy-de-Dôme ont dû s’adapter à ces nouveaux arrivants. Ce qu’ils ont fait, tant bien que mal.

La plongée dans le quotidien de ces deux localités, où sont logés de jeunes hommes et familles originaires d’Afghanistan, de Somalie ou d’Erythrée, révèle deux ambiances : inquiétudes et recroquevillements sur soi d’un côté, élans de solidarité de l’autre. Dans un contexte où, selon l’enquête annuelle sur les « fractures françaises » de l’institut Ipsos pour Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès, publiée le 9 juillet, les Français sont de plus en plus nombreux à estimer qu’« il y a trop d’étrangers en France ».

Réticences

Coincée entre la Seine et la forêt, Champagne-sur-Seine porte bien mal son nom. Cette petite ville populaire de la grande couronne parisienne, construite par le groupe de métallurgie Jeumont-Schneider, vit chichement dans un département plutôt aisé. La désindustrialisation l’a durablement appauvrie et elle peine à se relever. Elle compte pas moins de 45 % de logements sociaux et le chômage y est de six points au-dessus de la moyenne nationale. La réquisition par le préfet d’une résidence universitaire pour y loger 70 réfugiés en septembre 2015 n’a guère plu au maire divers gauche : « Je n’ai pas sauté de joie, admet l’élu. Je venais d’être élu et je voulais faire un peu de mixité sociale pour changer l’image de la ville », raconte Michel Gonord, ancien cadre dirigeant d’EDF devenu macronien.

Conscient des réticences de sa population, l’élu a décidé de faire le service minimum. Lors d’une réunion publique un peu houleuse, il explique aux habitants de sa commune qu’il est obligé d’accepter une décision de l’Etat, mais qu’il ne dépensera pas un euro du budget municipal ni ne mettra d’agent de la ville à disposition du centre d’accueil.

« J’ai prié les associations d’aider les migrants le plus discrètement possible et réussi à calmer les râleurs », ajoute M. Gonord. Il fallait couper l’herbe sous le pied des protestataires qui s’inquiétaient de ces arrivées. Le collectif d’habitants qui s’est constitué pour venir en aide aux réfugiés a ainsi été interdit d’afficher son activité à Champagne. « M. Gonord a préféré que la mairie n’apparaisse pas comme favorisant les réfugiés, alors on s’est débrouillés seuls », se souvient Pierre Spiteri, un retraité d’EDF qui dispense des cours de français, d’informatique ou de cuisine, avec une poignée d’amis.

Géré par la Croix-Rouge, le centre – deux petits immeubles roses défraîchis situés en face du collège sur les hauteurs de la ville – accueille depuis trois ans quelque 160 migrants. Essentiellement de jeunes hommes désœuvrés qui attendent que la préfecture statue sur leur sort. Ce qui agite les fantasmes. La Croix-Rouge a beau, de concert avec le maire, assurer que « tout va bien et qu’il n’y a pas d’incident », ni dans la rue ni devant le collège, rien n’y fait. « Ici, le FN fait plus de 30 % », soupire Pierre Spiteri, qui déplore cette « tension ».

Inquiétude latente

Car, sous le calme apparent de cette cité tranquille, affleurent les réflexes de rejet. « Je préférerais qu’ils rentrent chez eux, dit d’emblée Dimitri Yannacoulis, rencontré sur le parking du supermarché. Au début, ce devait être provisoire et ils sont encore là ! » Ce fonctionnaire note que les sans-domicile-fixe « n’ont même pas de logement ». Et râle contre le coût dévolu à l’hébergement des migrants, « avec nos impôts ».

Florence, assistante maternelle de 38 ans, renchérit : « Ils n’arrêtent pas de traîner, ça me fait peur. A cet âge-là, c’est beaucoup la fête, l’alcool, la drogue. Ils sont très polis, mais je ne laisse plus mes enfants jouer dehors. » Son compagnon, Pierre, abonde : « Il y a beaucoup de misère en France, il faut d’abord s’occuper de ce qui se passe sur le territoire. »

Depuis quelques mois, le conseil de quartier est devenu la chambre de résonance des plaintes les plus mesquines : des gobelets ont été jetés dans les jardins ? Ce serait la preuve qu’« ils » (les migrants) achètent de l’alcool à Carrefour avec l’argent de l’Etat. Des voisins auraient vu cinq réfugiés regarder un cours de gym dans la cour du collège ? Des parents ont demandé à leurs enfants de ne pas traîner à la sortie des cours.

La présence des migrants « a changé l’aspect de ce quartier calme », insiste Olivier, membre du comité et militant du Rassemblement national (ex-Front national). Peu visible, le parti de Marine Le Pen engrange les fruits de cette inquiétude latente. « Champagne a une sociologie d’ancienne cité ouvrière désindustrialisée typique de notre électorat. Cette histoire de centre de migrants ne passe pas », note le délégué départemental du parti, Aymeric Durox.

« Sursaut citoyen »

Tout autre ambiance à Pessat-Villeneuve. Ici, c’est le maire, Gérard Dubois, qui s’est porté volontaire en mettant à disposition les locaux d’une ancienne colonie de vacances d’Air France. Dans ce petit village de cadres moyens aux belles maisons colorées, les premières heures suivant l’arrivée des migrants ont été aussi mouvementées. Appels téléphoniques et lettres anonymes, menaces de mort contre l’élu, graffitis « Dehors les immigrés » sur les murs, déchaînement de haine sur les réseaux sociaux. L’élu divers gauche a convoqué une réunion publique quatre jours après l’arrivée des premiers migrants : celle-ci a dû se dérouler sous protection policière. « C’est parti en live mais du coup, les manifestations de rejet ont provoqué un vrai sursaut citoyen », se souvient M. Dubois.

Une cinquantaine de bénévoles se sont alors fait connaître pour venir en aide aux réfugiés et, depuis, l’élan de solidarité n’a pas faibli. « Tous les jours, nous avons une trentaine de bénévoles qui se mobilisent pour les repas, les sorties culturelles ou les cours de français. On n’a pas cette mobilisation en milieu urbain », souligne la responsable du centre d’accueil, Dominique Charmeil.

Le maire entend bien continuer : après avoir organisé l’hébergement des migrants venant de campements provisoires, il se prépare à accueillir ceux qui sont envoyés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. « Cela donne une image d’ouverture et c’est une richesse pour le village, assume le postier syndicaliste. Même si l’ambiance dérape parfois, il faut le faire. »

« Lever les doutes et les peurs »

Sa majorité municipale a tangué quand il a annoncé, en juillet 2017, la pérennisation du centre ; quatre élus ont démissionné pour se désolidariser. Certains habitants continuent aujourd’hui à râler. Comme Sylvain et Isabelle, jeunes trentenaires qui s’inquiètent de l’effet de cette initiative sur le prix de l’immobilier. Ou Joël Versepuy qui s’est plaint de certaines « nuisances » : « Le maire s’occupe beaucoup des réfugiés et ne fait rien de social pour nous », glisse cet ancien agent des PTT, électeur de Jean-Luc Mélenchon.

Le maire n’en a cure : le 16 juillet, au lendemain de la victoire des Bleus au Mondial russe de football, il a affiché devant sa mairie de jolies photos montrant les réfugiés exultant lors d’une projection de la finale. « Quand on explique les choses, on arrive à lever les doutes et les peurs », veut-il croire. Avant d’ajouter en souriant : « Je ne saurai si j’ai convaincu qu’aux prochaines élections… »

 

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