Source : Mediapart - Christophe Courtin - 21/12/2018
Le gouvernement a annoncé que les frais d’inscriptions dans les universités françaises pour les étudiants non communautaires passeront de 170 euros à 2770 euros en licence et 3770 euros en master. On reste sidéré devant la brutalité de cette décision et l’indécence de l’argumentation.
En novembre 2017 à l’université de Ouagadougou en s’appuyant sur la jeunesse, le président Macron se posait en héraut d’un partenariat nouveau entre la France et l’Afrique. Il allait renouveler les relations entre la France et son pré carré africain francophone autour de la formation et de l’entrepreneuriat. « La France est bien souvent la première destination, je veux qu'elle soit la première destination, non pas par habitude, mais par choix, par désir, pas nécessairement pour l'ensemble des études, mais pour nourrir les échanges entre nos pays, pour cela, je veux que la France vous accueille mieux, cela veut dire offre des places et des formations dans les filières qui correspondent à vos besoins, cela veut dire aussi, offrir les conditions d'une véritable circulation dans la durée. Et j'en prends devant vous l'engagement aujourd'hui ».
Une année plus tard, son gouvernement annonce que les frais d’inscriptions dans les universités françaises pour les étudiants non communautaires passeront de 170 euros à 2770 euros en licence et 3770 euros en master. L’argument central de cette politique tarifaire est que les étudiants qui viennent en France appartiennent à des milieux aisés qui peuvent payer cette hausse de 2200 % des frais de scolarité en master. Les autres arguments sont du même tonneau cynique : la quasi gratuité des études universitaires dégrade l’image de la formation et trop souvent les filières choisies ne proposent pas des formations utiles dans les pays d’origine des étudiants, comme la sociologie[1]. Cette mesure touchera d’abord les étudiants africains et malgaches (142 000, essentiellement francophones, sur 280 000 extra européens et 53 000 européens) dont la démocratisation de leurs pays est au point mort. Beaucoup de ceux qui payent déjà ces tarifs dans les écoles payantes sont les enfants des élites qui participent de la désorganisation de leurs pays et profitent aussi de nos services de santé publique.
On reste sidéré devant la brutalité de cette décision et l’indécence de l’argumentation. L’augmentation du nombre de bourses (7000 aujourd’hui, 20 000 annoncées) qui viendrait compenser l’effet sur les étudiants défavorisés est une réponse bureaucratique largement insuffisante. Les recteurs d’université, les syndicats d’enseignants et d’étudiants, plusieurs partis politiques (opposition de gauche, 11 députés LREM et même Alain Juppé), se sont déclarés contre cette mesure. Dans la tourmente des gilets jaunes, la circulaire n’est pas passée inaperçue mais n’a pas réellement mobilisée et sera certainement appliquée avec quelques concessions comme sa mise en œuvre pour les seuls nouveaux étudiants à partir de la prochaine rentrée. Comme souvent dans les politiques budgétaires du gouvernement on voit bien l’argument financier à court terme qui n’est pas négligeable (850 millions d’euros sur un budget des universités de 24 milliards, 3,4%), mais toujours au détriment des autres considérations de long terme. Le cap est fixé comme dans tous les autres domaines : moins de solidarité, moins de politiques redistributives. En l’occurrence pour les étudiants africains, l’accès au droit à la formation et à l’émancipation par la connaissance est octroyé en fonction des moyens financiers et du capital social dont ils disposent. L’argument de la dévalorisation des formations peu chères ne tient pas la route un instant, il procède du pur syllogisme utilitariste ultra libéral : ce qui est rare est cher ; même les États-Unis reviennent sur cette logique. On reste abasourdi avec le dernier argument qui relève de la pensée raciale : les Africains n’ont pas besoin de penser leur développement. La réalité montre que les sciences sociales françaises dans le domaine de l’aide au développement gardent encore un prestige scientifique et une influence sur les politiques publiques grâce à ce brassage entre étudiants du Nord et du Sud que l’université française permet.
Au fond cette décision reflète la représentation du monde que le gouvernement partage avec les pouvoirs africains dont les objectifs sociétaux portés par cette vision sont en passe d’être atteints : l’Etat est aux mains des classes dominantes. Il est un syndicat d’intérêts privés mus par l’enrichissement, la répression politique perdure, la marginalisation des parlements est achevée, l’arbitraire judiciaire est le quotidien du justiciable pauvre, les services publics de l’enseignement et de la santé sont moribonds, l’information est verrouillée, les régressions identitaires et religieuses saturent l’espace public et l’accumulation des biens pour quelques familles nanties s’accélère sans autre contrôle que celui du syndic au pouvoir. Les habitants de ces pays, les jeunes surtout, partent et veulent traverser la méditerranée. La perspective d’une formation en France est encore un motif d’espérance pour ceux qui ont pu mener leur scolarité jusqu’au bac. Les jeunes Africains aux faibles ressources sont les nouvelles victimes de cet apartheid financier à l’échelle de la planète. N’en doutons pas, les jeunes Français aux revenus modestes suivront.
[1]Le Monde. Focus Campus 28 novembre 2018