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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : France Inter - Ouafia Kheniche@ouafiak - 26/3/2019

ENQUÊTE - En France, il existe une seule exception à la trêve hivernale : les déboutés de la demande d'asile. Quand ils arrivent au bout de leurs démarches, les centres qui les hébergent les mettent dehors, même l'hiver, sous peine d'être sanctionnés financièrement.

En France, en 2019, des personnes peuvent être expulsées en pleine trêve hivernale. Notre enquête nous mène dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Si les familles qui ont fait une demande d'asile sont déboutées, elles peuvent se retrouver à la rue, y compris pendant la trêve hivernale, entre le 1er novembre et le 31 mars. C'est d'ailleurs la seule et unique exception à cette règle, prévue pour protéger les personnes vulnérables.

► RÉÉCOUTEZ - Notre reportage radio sur les familles expulsées

Se retrouver dehors avec des enfants de 1 et 2 ans

Marina n'en revient toujours pas. Elle remercie en français - langue qu'elle a apprise lorsqu'elle était étudiante en Arménie - les personnes qui les ont aidés, elle et sa famille. Notamment le maire et le curé de Saint-Nicolas-Des-Eaux, un petit village où ils logent pour quelques temps. Le 4 février, elle était pourtant à deux doigts de perdre espoir.

Ce jour-là, à Pontivy, dans le Morbihan, il faisait froid. Malgré ses suppliques, Marina, son mari Avranic et leurs deux enfants de 11 mois et 2 ans se sont retrouvés dehors. Venus d'Arménie, il y a un an et demi, il ont fait une demande d'asile, refusée par la préfecture. La mort dans l’âme, ils ont dû quitter leur logement géré par le CADA.

Début février, ce sont des particuliers qui se sont mobilisés pour aider la famille Vardanian à trouver un toit
Début février, ce sont des particuliers qui se sont mobilisés pour aider la famille Vardanian à trouver un toit © Radio France / Ouafia Kheniche

 

"Le chef du CADA m'a dit qu'une autre famille allait venir, alors on doit partir... Une dame nous a gardés quelques jours dans sa maison mais sinon, on était à la rue" se souvient Marina en retenant difficilement ses larmes.

"Si le préfet dit que c'est fini, on doit partir. On a vu d'autres familles mises dehors avec des enfants."

Sur les 122 000 demandeurs d’asile déclarés en 2018, seulement 36 % ont obtenu le droit d’asile, selon les chiffres de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Tous les autres doivent donc partir.

La police est susceptible d'intervenir pour les déloger

Les demandes sont nombreuses et le ministère de l'Intérieur demande aux CADA de "fluidifier" : une famille déboutée doit partir rapidement pour laisser sa place à une autre famille qui attend que son dossier soit examiné. C’est la loi qui le dit. Dans le cas contraire, la police est susceptible d'intervenir pour les déloger, ce qui terrifie beaucoup de familles qui préfèrent obtempérer, même en plein hiver.

Le CADA de Pontivy gère un centre d'une centaine de places et d'autres hébergements dans des villes ou villages du département. "Quand les familles reçoivent la décision de la préfecture, on essaie de préparer leur départ mais la sortie est toujours un moment difficile", explique le directeur Hervé Corfa. Une fois le courrier de la préfecture reçu, les personnes déboutées de leur demande d'asile ont un mois pour quitter l'hébergement. S'ils se maintiennent en logement CADA, on les considère alors comme une "présence indue", un terme administratif pour signifier que leur hébergement ne doit plus être pris en charge par l'État.

"Ça fait partie des choses les plus difficiles que j'ai à faire"

Maud travaille dans ce centre comme éducatrice. Les visages des gens qu'elle a rencontrés en Cada se mélangent dans ses souvenirs. Il y a tellement d'histoires de vies racontées au cours de  ces 15 années... Elle accompagne les familles, les aide et un jour, elle doit parfois leur annoncer qu'elles doivent quitter leur lieu d'hébergement, y compris s'il s'agit de familles avec de jeunes enfants ou des personnes âgées. "Ça fait partie des choses les plus difficiles que j'ai à faire. Ils ont un mois pour quitter le CADA, et ils savent que je ne pourrai plus rien faire pour eux. Ça les rend fragiles et forts à la fois. Coûte que coûte, les enfants et l'espoir d'un avenir meilleur les tiennent debout."

L'équipe du CADA de Pontivy avec Maud à gauche,
L'équipe du CADA de Pontivy avec Maud à gauche, © Radio France / Ouafia Kheniche

 

Au terme d'une journée particulièrement difficile, qui l'a vue accompagner une famille vers la sortie, Maud pense parfois à ses propres enfants. Elle s'étonne encore de la réaction de ces familles, au moment même où elle les laisse dans une chambre d’hôtel payée pour une ou deux nuits. "En général, il vous serrent très fort dans leurs bras et ils vous disent merci" explique Maud, visiblement émue. Parfois, elle aimerait que ceux qui prennent la décision réalisent ce que cela signifie sur le terrain : 

"Ceux qui les mettent dehors depuis un bureau doivent savoir ce que cela signifie concrètement."

"C'est pas normal de mettre des familles dehors en hiver"

Bien sûr, il s'agit de faire respecter la loi. Un demandeur d'asile qui n'obtient pas la protection du pays où il a trouvé refuge doit accepter cette décision. Il fait ensuite le "choix" de rester sans statut sur le territoire français ou bien de retourner dans son pays d'origine. La France ne raccompagne que très peu de demandeurs d'asile déboutés : environ 6% par an. De facto, la plupart des familles vont se retrouver à la rue, toujours en France.

S'ils choisissent de rester malgré tout, cela peut coûter très cher aux centres d'hébergement eux-mêmes, comme l'explique Florent Gueguen, président de la Fédération de acteurs de la solidarité (FNARS) : "Depuis la loi de 2015, renforcée par des décisions du Conseil d'État datant de 2017, si les centres ne les évacuent pas, et même pendant la trêve hivernale, ils sont soumis à des sanctions financières : 19,50 euros par jour, soit l’équivalent du coût de l’hébergement d’une personne pour une journée. Les travailleurs sociaux sont donc obligés de mettre ces gens à la rue."

Cette mesure concerne les déboutés du droit d’asile mais aussi les réfugiés eux-mêmes. Les centres ne doivent garder que ceux qui sont en cours de demande d’asile. La question de la vulnérabilité n’est pas un critère pour le ministère de l’Intérieur, à l’origine de cette loi. 

Cécile se désole que les politiques laissent à des personnes comme elle, la responsabilité de ne pas laisser des gens à la rue
Cécile se désole que les politiques laissent à des personnes comme elle, la responsabilité de ne pas laisser des gens à la rue © Radio France / Ouafia Kheniche

 

Les familles déboutées font dans la plupart des cas le "choix" de rester en France, tout simplement pour les mêmes raisons qui leur ont fait tout abandonner dans leurs pays d'origines. Elles se raccrochent au mince espoir d'une régularisation dans 3, 5 ou 10 ans. Leurs enfants sont scolarisés, c'est une obligation et c'est bien souvent par l'école que les soutiens arrivent. Des parents, des enseignants, de "simples citoyens" qui, tout en étant dépassés par une situation dont ils ignorent presque tout, refusent de laisser des familles dehors, notamment en plein hiver.

Comme en témoigne l'histoire des Chitana, une autre famille, venue de Géorgie, qui a atterri à Pontivy après un long périple, a bien failli se retrouver à la rue il y a quelques semaines. Arrivés en France il y a 3 ans, ils ont dû quitter leur logement en CADA le 7 mars dernier, après le rejet de leur demande d'asile. La mère, Nana, a tout essayé. Elle a demandé de l'aide en mairie, aux associations, contacté le numéro d'urgence, le 115 : sans succès. Sa fille de 17 ans, Marie, s'est alors confiée à quelques camarades de classe : "je vais être bientôt dehors". Des parents d’élèves n'ont pas tardé à se mobiliser pour tenter de trouver une solution.

Cécile, restauratrice de 46 ans, a lancé une cagnotte pour les soutenir financièrement. Cette maman de cinq enfants a été bouleversée d’apprendre le sort qui était réservé à cette famille. Elle a frappé à de nombreuses portes avant de parvenir à trouver un pavillon, où vit la famille depuis sa sortie du CADA. Cécile, qui ignorait tout du sort réservé aux demandeurs d'asile, était loin d'imaginer qu'ils ne bénéficiait pas de la trêve hivernale "C'est pas normal de mettre des familles dehors en hiver. C'est pas des gens comme moi qui doivent gérer ça. normalement c'est aux politiques de le faire et de changer les règles pour que ça n'arrive plus."

Chaque hiver, depuis la mise en place de cette loi et les différentes décisions du Conseil d’État, plusieurs centaines de familles déboutées de leur demande d'asile se retrouvent à la rue en plein hiver en peu partout en France. Aidées le plus souvent par des collectifs sans moyens, dépassées financièrement et juridiquement, elles demeurent pour les préfectures, des "présences indues" qui n'ont plus rien à faire en centre d'hébergement. Et d'autres familles arrivent.

 

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