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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Mediapart - Mathilde Mathieu - 28/3/2019

Les États membres de l’Union européenne ont décidé, mercredi 27 mars, de retirer leurs navires militaires engagés en Méditerranée dans le cadre de l’opération militaire dite « Sophia », au moins temporairement. Depuis 2015, ces bateaux ont pourtant permis de sauver 45 000 migrants environ.

Certains compromis entre ambassadeurs très urbains sont des capitulations en rase campagne. Sous la pression de Matteo Salvini (vice-premier ministre italien), les représentants des pays de l’Union européenne sont tombés d’accord, mercredi 27 mars, pour retirer de Méditerranée, au moins temporairement, tous leurs navires militaires susceptibles de porter secours aux migrants dans le cadre de l’opération militaire dite « Sophia ».

La décision doit être encore formalisée par le Conseil européen d’ici le 31 mars, mais son application dans la foulée ne fait plus aucun doute.

Les deux navires actuellement sur zone devraient ainsi rentrer au bercail dès dimanche (un bâtiment italien et un espagnol), alors que le dernier navire français engagé, le Jacoubet, a déjà quitté la zone en toute discrétion, il y a une grosse semaine.

Lancée en pleine crise des réfugiés en 2015, avec d’abord pour mission de lutter contre les trafiquants de migrants, de faire ensuite respecter l’embargo sur les armes et le pétrole libyens, cette opération sous commandement italien, votée à l’époque à l’unanimité des vingt-huit États membres, embryon d’une politique de défense commune, a servi « au passage » à sauver des vies, soit 44 916 hommes, femmes et enfants.

Elle avait été rebaptisée Sophia en référence à un bébé somalien né en mer en 2015, sur un bâtiment allemand.

Comme n’importe quel marin civil, un capitaine de frégate a en effet pour obligation de porter assistance à toute embarcation en péril.

Mais la règle prévue en 2015 pour le débarquement des rescapés, déposés en principe en Italie, était dénoncée depuis juin dernier par la coalition arrivée au pouvoir à Rome, composée de la Ligue de Matteo Salvini (extrême droite), résolue à « fermer les ports », et des contestataires du Mouvement Cinq Étoiles (M5S).

D’ici trois jours, aucun navire ne portera donc plus l’emblème de Sophia en Méditerranée centrale, alors même que les bateaux humanitaires en ont déjà été écartés les uns après les autres (tantôt privés de pavillon, tantôt placés sous séquestre, etc.).

Au large des côtes libyennes, le nombre de corps repêchés ou disparus (certes en forte baisse) ne descend pourtant pas en dessous de deux par jour, en moyenne, depuis le début de l’année 2019.

L’UE prétend donc sauver encore un peu les apparences, quitte à frôler le ridicule.

Officiellement, l’opération Sophia (« Force navale européenne en Méditerranée » de son vrai nom) n’est pas coulée : les États membres reconduisent pour six mois son mandat qui arrivait à échéance au 31 mars. Mais elle se contentera de moyens exclusivement aériens désormais : avions ou hélicoptères pour de la surveillance, du renseignement, etc.

Sur l’eau, l’usage d’unités est « suspendu », ce qui ne manque pas de sel pour une opération « navale ».

À vrai dire, Matteo Salvini réclamait la clôture pure et simple de la mission. Mais sa radicalité ne faisait pas l’unanimité au sein de son propre gouvernement : le ministre des affaires étrangères et son homologue de la défense (issue du MS5), soucieux du standing international de l’armée transalpine et de la préservation de sources de renseignement précieuses sur les trafics à ses frontières, réticents aussi à l’idée de perdre le QG installé à Rome, demandaient plutôt que les débarquements soient répartis à l’avenir entre pays côtiers, notamment avec la France et l’Espagne.

L’idée a fait un bide à Bruxelles, où la politique de défense se décide en plus à l’unanimité.

Pour Paris, entre autres, cette option était inenvisageable – elle aura sans doute été balayée au nom des conventions maritimes internationales qui imposent un débarquement dans « le port sûr » le plus proche du sauvetage. Sollicités par Mediapart, ni l’Élysée ni le quai d’Orsay n’ont toutefois répondu à nos questions.

La « solution » finalement bricolée mercredi, à deux mois d’un scrutin européen, ressemble fort à un « compromis électoral » (comme l’écrit la presse italienne), offrant à la fois un statu quo de façade aux gouvernements dits « progressistes », qui répugnent à enterrer Sophia et peuvent toujours rêver que les élections de mai rebattent les cartes, et une victoire à Matteo Salvini, qui peut se vanter de fermer ses ports non seulement aux ONG mais aussi aux frégates de Macron et Merkel.

Avant les ultimes négociations de cette semaine à Bruxelles, le travail de sape des autorités italiennes était de toute façon bien entamé. En janvier, déjà, la ministre de la défense allemande avait dénoncé tout haut ce que bien des armées européennes marmonnaient tout bas, reprochant au commandement romain d’envoyer les navires de Sophia « dans les coins les plus reculés » de la Méditerranée, dépourvus de trafiquants et « sans couloirs de migrants ». Elle avait d’ailleurs rappelé sa dernière frégate dans la foulée.

En août 2015, des rescapés sont transférés vers un navire allemand. En violet, une femme enceinte s’apprête à donner naissance à une fillette somalienne, Sophia, qui donnera son nom à l’opération militaire européenne. © Bundeswehr
 

Interrogé par Mediapart sur le nombre de sauvetages effectués dans les six derniers mois, un porte-parole de Sophia reconnaît aujourd’hui sans fard qu’il est nul : zéro migrant repêché (contre 2 291 sur les premiers mois de 2018, représentant 9 % des secours opérés cette année-là).

Inquiets de se retrouver ainsi en première ligne, les organisations d’armateurs exploitant des navires commerciaux en Méditerranée avaient ainsi intensifié, ces dernières semaines, leur lobbying pour tenter de sauver Sophia, ou plutôt ses capacités de secours en mer.

« Nous voulons exprimer notre inquiétude face aux conséquences pour les navires marchands d’un non-renouvellement du mandat, écrivaient l’ECSA et l’International Chamber of Shiping (représentant l’essentiel des armateurs européens), dans un courrier expédié le 11 mars à tous les États membres et consulté par Mediapart. En l’absence d’opération internationale dotée de ressources suffisantes, il existe un risque de renforcer les trafiquants de migrants et de miner les efforts visant à construire des capacités de sauvetage adéquates en Méditerranée centrale. »

« Un navire marchand est équipé en général pour une vingtaine de personnes, souligne aussi Nelly Grassin, au nom d’Armateurs de France. S’il doit secourir une centaine de naufragés, il le fait, mais ça met l’équipage en danger, sur des questions de sécurité ou sanitaires. »

Au plus fort de la crise des réfugiés (entre 2014 et 2016), les bateaux commerciaux auraient secouru quelque 80 000 migrants, selon l’ECSA, avant le basculement de la « route » migratoire vers l’Espagne. Interrogé par Mediapart, Martin Dorsman, le secrétaire général de l’organisation estime cependant que « la sensibilité et la complexité de la situation semblent avoir parallèlement augmenté ».

Celui-ci a bien vu, entre autres, des migrants se rebeller à bord de navires marchands qui venaient de les repêcher, découvrant que le capitaine faisait route vers la Libye et non l’Italie, à l’image de la « mutinerie » survenue jeudi sur l’Elhiblu1. (Lire aussi notre article de janvier dernier) Avec la « suspension » des patrouilles navales de Sophia, ces armateurs perdent une lourde bataille.

Mais au-delà, c’est bien la mission centrale de Sophia – la lutte contre les trafiquants et pour le démantèlement des réseaux – qui se retrouve placée en coma artificiel. Alors que 160 passeurs présumés ont été remis aux autorités italiennes depuis 2015, et 551 embarcations éliminées qui servaient à des réseaux criminels, comment poursuivre ce travail sans la moindre frégate ?

« Sophia est une opération maritime et il est clair que sans ressources navales, elle ne sera plus en mesure de remplir effectivement son mandat », a déclaré mercredi une porte-parole de Federica Mogherini, la chef de la diplomatie de l’UE. Alors quoi ?

Peut-être les États membres trouvent-ils de quoi se réjouir dans la poursuite d’un volet méconnu de l’opération, rajouté en 2016 au mandat de Sophia et secondaire sur le papier, mais en pleine expansion, celui de la formation des garde-côtes libyens ?

Avec le soutien d’autres fonds européens, ces derniers sont en effet équipés et encouragés à intercepter toujours plus d’embarcations au large de leurs plages, ce qui contribue à l’effondrement du nombre d’arrivées en Italie (534 en 2019), mais soulève nombre de questions éthiques, sachant que 100 % des rescapés sont jetés en prison à leur retour en Libye, dans des conditions inhumaines que l’ONU ne cesse de dénoncer.

Depuis 2016, Sophia a ainsi formé plusieurs centaines de garde-côtes (aux droits de l’homme, au droit d’asile, etc.), également entraînés aux techniques d’abordage, à la plongée sous-marine, à l’usage de matériel de communication électronique, etc. À l’évidence, ces leçons ne suffisent pas à garantir un comportement adéquat en mer, puisque l’équipage libyen ayant opéré l’un des pires « sauvetages » jamais filmés en Méditerranée (celui du 6 novembre 2017), avec violences et noyades à la clef, en avait pour partie bénéficié.

Pire : des rapports internes à Sophia (récemment dévoilés par Politico) font état de corruption parmi certaines unités. « Les réseaux [de trafiquants de migrants] ont régulièrement recours à des “facilitateurs” et payent certaines autorités et autres milices », lit-on dans un bilan confidentiel de l’opération daté du second semestre 2017.

Interrogée sur le sujet, la commission répond systématiquement que les garde-côtes invités aux formations de Sophia subissent un « check de sécurité », avec vérifications auprès d’Interpol et d’Europol (entre autres), afin d’écarter les individus les plus douteux. Dès lors, pas question de « suspendre » quoi que ce soit, au contraire. Sophia continue ainsi sans bateau, mais avec des garde-côtes de Tripoli, traités de plus en plus comme des sous-traitants.

 

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