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Source : Le Monde - Frédéric Potet - 19/10/2019

Dans sa chronique, Frédéric Potet, journaliste au « Monde », raconte l’histoire de la fermeture de plusieurs restaurants qui embauchaient et abusaient de clandestins bangladais.

Chronique. Crêpe de maïs originaire du Mexique fourrée de viande et de sauce fromagère, le tacos réalise, depuis quelques années, une percée prodigieuse dans le secteur de la restauration rapide en France. A Tours, l’offre en la matière s’est brutalement réduite cet été, avec la fermeture de trois restaurants de l’enseigne O’Tacos, l’un des leaders du secteur. Un quatrième, à Perpignan, appartenant aux mêmes gérants, a été liquidé simultanément, dans le cadre d’une affaire de travail dissimulé en bande organisée et d’emploi de personnes en situation irrégulière.

Révélée par La Nouvelle République du Centre-Ouest, l’histoire en dit long sur les pratiques exercées à l’encontre des migrants qui cherchent à s’intégrer par le travail. Les victimes sont une vingtaine de Bangladais dépourvus de titre de séjour, à qui des conditions d’hébergement indignes étaient par ailleurs proposées.

Tout commence fin juin par leur interpellation dans plusieurs appartements du centre-ville et des quartiers nord de Tours. L’un, d’une superficie de 70 m², est occupé par neuf hommes, dont certains dorment sur des matelas posés à même le sol ; un autre, de 68 m², est habité par sept personnes, dont une femme et son enfant de 20 mois. Agés de 25 à 30 ans les hommes travaillaient alors, en cuisine, dans les trois O’Tacos de la ville, ouverts entre juillet 2017 et août 2018 par le même gérant « franchisé », Yassine Zerizer.

« Pas d’autre choix que d’être dociles »

Celui-ci est également appréhendé par les forces de l’ordre ce jour-là, ainsi que trois proches collaborateurs, dont un cuisinier bangladais, Mohammed Rabibuzzaman, présenté par les enquêteurs comme le « recruteur » et l’« homme de main » de l’équipe. Auditionnés, les migrants seront vite remis en liberté. Ils se sont aujourd’hui constitués partie civile dans l’affaire et ont engagé un recours aux prud’hommes contre leur ancien employeur, resté en prison.

L’enquête a en fait démarré en 2018, à la suite d’une dénonciation d’un ex-salarié ayant été licencié sans motif. Une année de surveillance et d’écoutes téléphoniques permettra de mettre au jour une « petite entreprise » délictueuse fonctionnant sur la loi du silence. Payés au smic, mais non déclarés à la préfecture par leur employeur (qui avait l’obligation de signaler qu’il faisait travailler des clandestins), les employés bangladais n’avaient pas le droit de protester contre le non-paiement des heures supplémentaires qu’ils effectuaient (jusqu’à treize par semaine), sous peine d’être mis à la porte sur-le-champ – et voir leur espoir de régularisation s’envoler.

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Originaires de la région de Sylhet, la plupart d’entre eux escomptaient, en effet, faire appliquer la circulaire Valls de 2008 pour obtenir leurs papiers. Cette disposition permet aux travailleurs étrangers en situation irrégulière d’obtenir une carte de séjour au cas par cas, à condition de justifier d’une présence sur le territoire français de cinq ans minimum et d’une ancienneté de travail de huit mois sur les deux dernières années (ou trente mois sur les cinq dernières années).

« Il était interdit de réclamer le paiement de nos heures supplémentaires, et même de se plaindre de quoi que ce soit, sinon tout était fini : le salaire, la demande de titre de séjour… », raconte Mahmud Miah, 30 ans, qui confectionnait des sandwiches dans le restaurant de Tours-Nord. « Ils n’avaient pas d’autre choix que d’être dociles », explique Yasmina Selatna, l’avocate de treize d’entre eux.

Chantage aux papiers

Ce chantage aux papiers n’est pas le seul délit découvert par l’enquête. Pour intégrer l’un des trois O’Tacos tourangeaux, les candidats à l’embauche devaient ainsi verser un « droit d’entrée » compris entre 1 000 et 1 500 euros à leur compatriote recruteur, Mohammed Rabibuzzaman. Concernant les appartements mis à disposition, ils n’avaient guère d’autre alternative que d’y résider, ne parlant pas français et ne connaissant pas la ville (tous venaient directement de région parisienne). Les loyers – 110 euros par personne dans l’appartement de Tours-Nord, par exemple – étaient directement versés à leurs patrons, de la main à la main.

L’argent liquide semblait d’ailleurs circuler allégrement au milieu des parfums de tortilla : également soupçonnés d’abus de biens sociaux, les quatre responsables des fast-foods avaient ainsi l’habitude de « se servir » dans la caisse des établissements, à hauteur de plusieurs centaines d’euros par jour, pour leurs besoins personnels. Ceci n’empêchait pas les employés bangladais de toucher normalement leur salaire par virement et de se voir délivrer des feuilles de paie rédigées par un expert-comptable.

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C’est sur leur examen que le gérant des trois O’Tacos, Yassine Zerizer, 34 ans, compte miser sa défense. Son avocat, Denys Robiliard, réfute la notion de « travail dissimulé » figurant dans la longue liste des chefs de mise en examen, précisant que des déclarations préalables à l’embauche ont été envoyées à l’Urssaf pour chaque salarié, et que les heures supplémentaires étaient dûment payées. Il mentionne également la bonne note – 86 % de satisfaction – qu’aurait obtenue le premier des trois restaurants tourangeaux, situé rue de la Rôtisserie, faisant suite à un audit social mandaté par la direction d’O’Tacos auprès sur l’ensemble de son réseau, en avril 2018.

Tous les salariés bangladais sont aujourd’hui revenus en région parisienne. Une partie a retrouvé un emploi, comme Mahmud Miah, qui vient de décrocher un CDI dans un restaurant de kebabs de Seine-Saint-Denis. L’homme vit dans l’attente d’une réponse de la préfecture d’Indre-et-Loire, à qui il a fait parvenir une demande de titre de séjour. A Tours, les trois O’Tacos ont été repris par un nouveau gérant. Une campagne de recrutements a été lancée, comme on peut le lire en devanture : « Ici, ouverture prochaine. New propriétaire. New équipe. Rejoins la team. »

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