Source : Le Monde - Julia Pascual - 6/11/2019
Le document accrédite l’hypothèse d’un « tourisme médical ». Le premier ministre s’est appuyé sur le rapport pour une réforme qu’il doit présenter mercredi.
« Lutter contre la fraude » et les « usages abusifs ». Un mois après le débat parlementaire sur l’immigration, qu’a souhaité organiser le président de la République, Emmanuel Macron, pour « regarder en face » ce sujet sur lequel il entend combattre le Rassemblement national, un rapport des inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des finances (IGF) met l’accent sur les détournements des systèmes de soins réservés aux étrangers sans papiers et aux demandeurs d’asile.
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Remis le 31 octobre au gouvernement et rendu public mardi 5 novembre, ce rapport énumère une série de recommandations, dont la plupart portent sur des moyens de « lutter de façon volontaire et visible » contre ces détournements. Le premier ministre, Edouard Philippe, s’est appuyé sur ces travaux pour bâtir sa réforme de l’accès aux soins des étrangers, qu’il doit détailler publiquement mercredi.
Alors que le gouvernement assène depuis plusieurs mois qu’il existe un « tourisme médical » en France, la mission IGAS-IGF accrédite elle aussi « l’hypothèse d’une migration pour soins, qui n’est clairement pas un phénomène marginal ». Les auteurs du rapport en veulent pour preuve l’importance du recours par les bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat (AME) – 318 106 étrangers sans papiers en 2018 – à certains soins spécifiques liés aux accouchements, à l’insuffisance rénale chronique, aux cancers ou encore aux maladies du sang. « Le rythme de croissance des séances d’hémodialyse, chimiothérapie et radiothérapie est particulièrement élevé [plus de 10 % par an] pour les bénéficiaires de l’AME », soulève la mission.
L’impact potentiel des mesures reste à évaluer
Dans la même logique, elle estime que l’augmentation de la demande d’asile (+ 20 % en 2018, avec 120 000 demandes), notamment en provenance de pays d’origine sûre comme l’Albanie et la Géorgie, suggère une forme de « dévoiement » du système « par des étrangers qui souhaiteraient uniquement bénéficier de soins gratuits en France », puisque les demandeurs d’asile sont couverts par la protection universelle maladie (PUMA). « Des cas de ce type ont été signalés à plusieurs reprises à la mission par des professionnels médicaux hospitaliers », soulignent les auteurs.
« Affirmer qu’une part importante des personnes migrent pour des raisons de santé, c’est faux, réagit Carine Rolland, de Médecins du monde. Le rapport manque d’étayage, raisonne par rapport à la lutte contre la fraude et dans une logique de contrôle plus important des personnes alors qu’on sait que très peu de cas de fraudes ont été documentés. »
Quoique peu quantifiés, les différents constats de la mission nourrissent une batterie de recommandations axées sur le renforcement des contrôles, l’instauration de délais de carence avant l’accès à la couverture maladie pour les demandeurs d’asile ou avant l’accès à certains soins non urgents pour les étrangers sans papiers inscrits à l’AME. L’impact potentiel de ces mesures, reprises par le gouvernement, n’est pas davantage évalué. Ou alors, il est minimisé.
En effet, la mission reconnaît que la lutte contre la fraude et les abus « ne permet pas de résoudre le problème posé par des étrangers atteints de pathologies graves (insuffisance rénale, cancers, diabète) choisissant de migrer en France pour bénéficier de soins » puisque, « même en l’absence d’une couverture AME ou PUMA, ces personnes seraient nécessairement prises en charge par le système de santé au titre des soins urgents et vitaux ». Aussi, résument les inspections, la « seule solution pour traiter ces difficultés est de renforcer la coopération en matière de santé avec les pays d’origine de ces migrants », notamment pour accroître les capacités de soins disponibles localement.