Source : Passeurs d'hospitalités - casoar2 - 21/3/2020
Dans le centre de rétention de Coquelles, un enfermement sans précaution ni but, mais pas de confinement
La Cabane Juridique, Calais, le 19 mars 2020 – Actualisé le 21 mars 2020
Malgré l’annonce du Président de la République le 16 mars 2020 exhortant chacun à réduire ses déplacements au plus strict minimum pour limiter la propagation du coronavirus, aucune mesure ne semble avoir été prise dans le centre de rétention administrative de Coquelles, alors que les conditions de promiscuité favorisent largement sa dissémination.
Le 17 mars 2020, 65 personnes étaient enfermées dans le centre de rétention, pour 51 places actuelles (le centre étant en travaux depuis le 24 février, réduisant sa capacité de 28 places). Entre respect des normes et volonté de détenir un maximum de personnes, un choix a été fait, puisque des matelas sont installés dans une des salles communes pour pallier le manque de lit. Aucune mesure de précaution ne semble avoir été prise pour éviter la propagation du virus à l’intérieur du centre. Pas d’équipement de protection distribué : ni gants, ni masque, ni mise à disposition de gel hydroalcoolique ou savon supplémentaire, que ce soit pour les retenus, les policiers de la Police aux Frontières ou le personnel médical et de nettoyage intervenant dans le centre de rétention. L’organisation des repas reste inchangée : les retenus sont appelés à heures fixes dans le réfectoire et s’attablent par groupe de quatre sans aucune précaution sanitaire imposée ni simplement proposée.
Si la suppression du droit aux visites a été annoncée aux retenus, aucune communication supplémentaire n’a été effectuée. Depuis lundi 16 mars, 2 personnes retenues dans le centre ont été emmenées à l’hôpital suite à la détection de symptômes similaires à ceux du coronavirus. Suite à leur départ, toujours aucune communication. Toutefois, l’une d’elles est rentrée au centre de rétention. Visiblement déclarée saine, on l’a pour autant installée avec ses trois co-retenus sur des matelas dans une salle commune pour « aseptiser »la chambre par « principe de précaution ». Quel principe de précaution s’applique quand une personne présentant des symptômes est de retour dans un espace confiné tel qu’un centre de rétention ? « Nous ne savons rien, nous voulons être libérés, nous nous sentirions mieux protégés dehors »nous rapporte une personne retenue. Le climat est tendu au sein du centre de rétention, oscillant entre la peur et l’incompréhension.
Le 17 mars 2020, une dizaine de personnes ont entamé une grève de la faim dans le centre pour dénoncer le manque d’information et de mesures face à la pandémie. L’une d’elles a perdu connaissance après 48 heures, alors que d’autres ont été contraints de s’alimenter : « on ne nous donne plus nos médicaments si nous ne mangeons pas ».Voici au moins une mesure appliquée : soumettre l’accès aux médicaments à la condition de la cessation d’une grève de la faim dérangeante, afin d’occulter la situation actuelle.
Entre le 14 et le 20 mars, alors que nombreux pays avaient déjà fermé leurs frontières avec l’Europe et la France, et malgré cette absence de perspective d’éloignement, 18 personnes supplémentaires ont été placées dans le centre de rétention de Coquelles. Ce sont 18 personnes de plus dans un centre où les conditions semblent réunies pour la propagation du coronavirus.
Et pourtant, le 16 mars 2020, la cour d’appel de Paris avait dégagé un chemin vers la libération des retenu.es en adoptant une décision de remise en liberté fondée sur un double constat : d’abord, qu’en l’état de fermeture des frontières européennes, les perspectives d’éloignement hors du territoire français étaient « fortement compromises », et d’autre part, que la situation sanitaire au sein du centre de rétention entraînait « des risques de contamination accrus dans un contexte de pandémie mondiale due au coronavirus ».Ce chemin s’est toutefois avéré cahoteux. A Coquelles, si le centre de rétention se vide enfin petit à petit suivant cette jurisprudence, la préfecture du Pas-de-Calais a décidé de faire appel de décisions de libération prises par le juge des libertés et de la détention en première instance. Et pire, cet appel a obtenu gain de cause, puisque, en guise de réponse, la cour de Douai a qualifié le centre de rétention « d’espace de confinement »adapté à la crise sanitaire actuelle. Cette décision ordonnait alors le maintien en rétention de personnes déjà libérées et pour la plupart, sans document d’identité… Suivant ces remises en libertés, il était tentant de penser à la fermeture prochaine du centre de rétention de Coquelles. Mais encore une fois, cet espoir se gâche le 20 mars 2020 avec le placement de deux nouveaux arrivants, démontrant le peu d’intérêt de la Préfecture pour la protection des personnes qu’elle a décidé de retenir, ainsi qu’aux garanties pourtant spécifiquement prévues par la loi.
Enfin, la peur de la propagation du virus n’a pas empêché la France de transférer 2 personnes de nationalité algérienne et une personne de nationalité congolaise (RDC) vers leur pays d’origine en début de semaine. Les liaisons entre la France et l’Algérie avaient bien été coupées, mais la France n’a visiblement pas peur d’affréter des avions pour expulser. Notre Président, Emmanuel Macron, annonçait pourtant lundi soir que « tous les voyages entre les pays non-européens et l’Union Européenne seraient suspendus pendant 30 jours ».Les frontières de l’UE, épicentre de la pandémie mondiale, ont bien été fermées à l’entrée, ce qui ne semble malheureusement pas éviter le renvoi de potentiels porteurs du virus dans ces pays de retour.
L’association en charge de l’accompagnement juridique des personnes entrant dans le centre de rétention de Coquelles a dû se retirer physiquement du centre par précaution sanitaire. Les salariées de l’association tentent d’assurer, comme elles le peuvent, une permanence à distance, mais l’exercice effectif des droits est grandement affecté.
Oubliés de l’urgence, les retenus font l’objet d’un double abandon : s’ils ne peuvent plus bénéficier d’un accès à leurs droits du fait de l’urgence sanitaire (comme celui d’accéder à un avocat ou simplement à un conseil juridique), ils sont d’autant plus exposés aux dangers qui en résultent, contraints à se confiner dans un lieu soumis à des entrées continues, sans la possibilité d’appliquer des mesures de protection individuelles.
Enfin, il est temps de s’interroger sur la légalité même de la rétention administrative dans un tel contexte, comme cela a été dénoncé par la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté dans son dernier communiqué de presse. Elle estime, en effet, que « la mesure de rétention elle-même se trouve dépourvue de fondement juridique » dès lors que « dans un contexte de réduction drastique des vols internationaux, la perspective de reconduite des personnes retenues est mince, voire illusoire », et recommande en conséquence de« procéder sans délai à la fermeture temporaire des centres et locaux de rétention administrative ».
La Contrôleure est encore plus critique en soulignant qu’en l’absence de mesures de protection spécifique, « l’Etat manque à son obligation de protéger à la fois ses agents et les personnes qu’il a lui-même placées sous sa garde ».
Le Président de la République affirmait lundi soir : « Chacun d’entre nous doit à tout prix limiter le nombre de personnes avec qui il est en contact chaque jour ». Nous n’aurions pas si bien dit, fermons les centres de rétention administrative !