Source : InfoMigrants - Julia Dumont - 29/10/2020
Les associations et ONG venant en aide aux migrants dans le nord de la Bosnie s’alarment du niveau de violence que subissent depuis plusieurs semaines les exilés qui cherchent à franchir la frontière croate pour entrer dans l’Union européenne. Les témoignages qu’elles recueillent font état de coups, de vols et même de sévices sexuels.
Les accusations de violences commises par la police croate sur les personnes migrantes cherchant à franchir la frontière entre la Croatie et la Bosnie sont courantes. Mais, ces dernières semaines, les témoignages de migrants recueillis par des associations et ONG présentes dans le nord de la Bosnie décrivent un niveau de violence jamais atteint.
Pendant deux semaines, durant le mois d’octobre, l'association No Name Kitchen, membre du collectif Border Violence Monitoring Network (BVMN) qui documente les cas de violences à la frontière croate, a recueilli les témoignages de migrants ayant subi des exactions extrêmement violentes dans la région croate de Cetingrad, au sud-ouest de la ville bosnienne de Velika Kledusha.
Ces exilés – qui tentent souvent de franchir la frontière depuis plusieurs mois – décrivent des coups d'une grande violence reçus après avoir été interpellés par la police croate mais aussi des vols de téléphones, d’argent et même de vêtements.
"Nous sommes présents sur le terrain à Velika Kledusha tous les jours. Nous voyons des personnes victimes de violences quotidiennement. Mais au cours de ces deux dernières semaines, nous avons vu la violence la plus sévère jamais observée", affirme Barbara Becares, coordinatrice de la communication pour l’association No Name Kitchen, interrogée par InfoMigrants.
Coups et traitements dégradants
Sur plusieurs vidéos obtenues par le collectif, des hommes montrent des blessures qui auraient été causées par des policiers croates. Leurs stigmates sont assez similaires. Dans la plupart des cas, leurs dos sont striés de marques rouges et violacées dues à des coups portés par ce qui pourrait être un fouet ou un bâton.
"Les contusions sur le corps des personnes se présentent sous la forme de gros hématomes, ce qui signifie qu'une hémorragie interne importante s'est produite, cela pourrait résulter d’un coup important et brutal causé par des coups de pied ou une sorte de bâton. Les marques sur le dos et les fesses de certaines personnes suggèrent également qu'un fouet ou un bâton a été utilisé, créant des lacérations à la surface de la peau", décrit le rapport de BVMN.
Les personnes interrogées ont également décrit des violences prolongées et des cas de traitements dégradants. Un groupe d’hommes refoulés le 15 octobre a ainsi raconté avoir été battu pendant une heure. Les exilés ont également affirmé avoir été forcés de s’allonger sur leurs camarades tombés à terre afin de former ce que des policiers croates auraient qualifié de "pyramide". Le témoignage d’un autre homme, refoulé le lendemain, a fait état de la même méthode d’humiliation.
Violences sexuelles
Parmi les violences subies par les personnes migrantes et dont la police croate est accusée, plusieurs cas de sévices sexuels ont également été relatés ces dernières semaines. En moins d’une semaine, le Danish Refugee Council (DRC) a enregistré deux cas de personnes ayant été agressées sexuellement par des policiers croates avec un bout de bois, rapporte le Guardian.
Le premier cas aurait eu lieu le 12 octobre après l’arrestation de cinq Afghans dont deux mineurs près de la ville de Novo Selo.
Mustafa Hodžić, un médecin de Velika Kledusha cité par le Guardian, a affirmé après avoir examiné la victime : "Le patient avait des blessures sur toute la face arrière de son corps, sur son dos et ses jambes. Je confirme également la présence de signes de violence sexuelle très claire. Je n’ai jamais rien vu de tel. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’en tant que médecin je vois des signes de violence sexuelle perpétrée, selon les demandeurs d’asile, en Croatie par des policiers croates en uniformes noirs".
Le 19 octobre, selon d’autres témoignages également recueillis par le DRC, un autre cas d’agression sexuelle a eu lieu. Un groupe d’hommes, majoritairement originaire du Bangladesh, a affirmé avoir été arrêté près de la frontière bosno-croate. "Combien d’entre vous sont gay ?", leur aurait demandé un policier croate, portant un uniforme noir et une cagoule.
Les hommes se sont ensuite fait frapper et un policier a demandé à l’un d’eux "es-tu gay ?", avant de l’agresser sexuellement avec un morceau de bois.
"Certaines personnes font des cauchemars de ce qu’elles ont enduré à la frontière"
Mercredi 21 octobre, la commissaire européenne aux Affaires intérieures Yvla Johansson a assuré prendre "très au sérieux" les accusations visant la police croate mentionnées dans le rapport du DRC.
De son côté, le gouvernement croate a affirmé qu’une enquête serait lancée pour punir les éventuels abus de certains policiers.
Pour No Name Kitchen, il est impossible de saisir les raisons d’un tel déferlement de violence. "Ce que nous pensons, c’est que la police brûle les affaires de gens, leur prend leur argent et leur téléphone pour qu’il soit encore plus difficile pour eux de tenter de nouveau de franchir la frontière", explique Barbara Becares. La violence pourrait aussi être destinée à décourager les personnes d’entrer en Croatie.
“Certains exilés ne font plus de cauchemars de ce qu’ils ont vécu en Syrie mais de ce qu’ils ont enduré à la frontière", condamne la militante. Et pourtant, les traumatismes ne freinent pas les tentatives de traversée. "Les gens n’ont pas le choix. Où qu’ils aillent, il y a des refoulements aux frontières", déplore Barbara Becares. Fin septembre, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) estimait qu’environ 8 500 personnes migrantes étaient bloquées en Bosnie.