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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : InfoMigrants - Charlotte Oberti - 4/11/2020

Des milliers d'Haïtiens vivent aujourd’hui à Cayenne après avoir fui la misère de leur pays. Faute de régularisation, la grande majorité d’entre eux se sont installés dans des bidonvilles à la périphérie de la ville, en marge de la société guyanaise. Reportage.

Dans son smartphone, dont la coque est décorée des mots "Love" et "Be Happy", Alvin* a enregistré plusieurs vidéos de lui. Sur chacune d'entre elles, le jeune homme de 23 ans danse. Dans une pièce vide de l'association Le Refuge qui l'héberge, il fait des enjambées, il se courbe, se grandit, s'allonge au sol avec grâce. Il semble heureux de montrer ce qu'il aime faire, de pouvoir en parler. Alvin aime aussi sortir dans les rues guyanaises habillé d'un t-shirt à strass. À visage découvert. 

Pendant deux ans, dans la ville de Pétion-Ville en Haïti, Alvin avait pris soin de mettre un casque de moto sur sa tête les rares fois où il s'aventurait à l'extérieur de chez lui. "J'étais obligé parce que sinon les gens disaient 'Voilà le pédé !' et je pleurais", raconte-t-il attablé à un café du centre-ville de Cayenne. "Dans mon pays, on ne tolère pas l’homosexualité. Si t'es homo, c'est comme si t'étais malade, c'est inacceptable, c'est incompréhensible." 

 

Alvin a fui Haïti où il était persécuté parce que homosexuel. Crédit : Charlotte Oberti/InfoMigrants
Alvin a fui Haïti où il était persécuté parce que homosexuel. Crédit : Charlotte Oberti/InfoMigrants

 

En 2019, le grand frère d'Alvin tombe sur des SMS qu'il avait échangés avec son amoureux. Des messages qui viennent confirmer les rumeurs qui circulaient sur son petit frère. Il se déchaîne contre Alvin, le frappe et prévient la famille de son petit ami de leur relation. "J'ai quitté la maison", dit Alvin à voix basse. Neuf mois plus tard, le jour de son anniversaire, le père de son petit ami surgit, armé d'un pistolet, au milieu de la fête qu'il avait organisée pour l'occasion. "Il m'a dit : 'Je vais te tuer'", raconte le jeune Haïtien. Ce soir-là, Alvin s’est enfui, puis a quitté Haïti pour Saint-Domingue, a rejoint le Suriname, et pris la direction de la Guyane. Depuis le 1er octobre, il y est officiellement réfugié.

>> À (re)lire : Dans une Guyane saturée, le passage plus si secret de migrants vers la métropole

Alvin fait partie des très rares exceptions. En Guyane, les membres de la communauté haïtienne, forte de plusieurs dizaines de milliers d'âmes, n'obtiennent quasiment jamais ce statut. Dans un rapport de 2017, l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) identifiait principalement deux catégories de personnes pouvant obtenir une protection : les LGBT et les victimes du culte vaudou.

Pourtant, l'immense majorité de ceux qui décident de quitter ce pays le font pour d'autres raisons. Instabilité politique, insécurité, sécheresses à répétition, population parmi les plus pauvres au monde : Haïti est confronté à une "crise multiforme", selon l'ONU. 

Ville dans la ville

"On est venu chercher une vie meilleure." Inlassablement, les Haïtiens de Cayenne répètent cette phrase dans laquelle pointe leur déception. Car, à défaut d'une "vie meilleure", ce sont des bidonvilles miteux, où grouillent les rats et où circulent les maladies (la leptospirose, transmise par les rongeurs, le Covid-19, ...), qui attendent la plupart d'entre eux. 

 

Environ 3 000 personnes vivent dans le bidonville de Mont Baduel. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants
Environ 3 000 personnes vivent dans le bidonville de Mont Baduel. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants

 

Environ 6 000 personnes, dont "90% d'Haïtiens" selon Médecins du monde, vivent dans les bois de Mont Baduel et de Piste Tarzan, en banlieue de Cayenne, où des bidonvilles ont vu le jour au fil des années. De nouvelles arrivées sont recensées chaque semaine. Il suffit de se faufiler depuis la chaussée entre deux buissons touffus pour rejoindre Piste Tarzan. On bascule alors dans un autre décor, loin des routes goudronnées et des quartiers bétonnés. Piste Tarzan est une ville dans la ville, comme hors du temps, où ses habitants ont créé tant bien que mal une vie en vase clos : des cabanes bancales, des semblants d'épiceries, des étals de légumes. 

Ici, il faut faire la queue pour avoir accès à l'un des deux seuls points d'eau : une source naturelle, perdue au milieu d'une forêt de bambous, où un système de pompe mécanique a été installé, et un puits sommaire duquel se hissent les seaux à la force des bras. Le bruit, celui des voix, des cris, des radios, des motos, des casseroles, est par ailleurs constant dans ce bidonville.

"Le soir, quand je rentre, je dois allumer des bougies"

"On n'a pas de porte de sortie. On n'a pas de travail, on n'a pas de papiers. Ici, il n'y a pas d'électricité, il n'y a rien", lance un homme qui souhaite rester anonyme. Marié et père de famille, il vit là "provisoirement" depuis six ans. "On vit avec de petits moyens, des petits boulots comme ça". Dans le quartier, l'électricité, souvent chipée illégalement aux maisons alentours, est régulièrement coupée par les autorités.

 

Les cousines Daphné, 14 ans, et Lynn, 12 ans, devant leur maison. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants
Les cousines Daphné, 14 ans, et Lynn, 12 ans, devant leur maison. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants

 

Plus loin, Daphné, 14 ans, nous interpelle. "Est-ce que vous allez nous donner une vraie maison ?", demande-t-elle. Près d'elle, sa cousine Lynn, de deux ans sa cadette, explique devoir se réveiller à 4h tous les matins pour aller à l'école. "Et le soir, quand je rentre, je dois allumer des bougies."

Pour les Haïtiens, les options sont maigres. La Guyane, dépassée par l'afflux de migrants, n’a que peu d’options d’hébergements à offrir. Les structures d’urgence ou les chambres d'hôtel sont généralement réservées à d’autres demandeurs d’asile. "Environ 80-90% des personnes hébergées par la Croix-Rouge sont originaires du Moyen-Orient", constate Mathieu Tétrel, secrétaire bénévole de la Cimade. Ce public parvient davantage à se faire entendre des autorités quand les Haïtiens, eux, voient le bidonville comme la seule solution évidente. 

La Croix-Rouge française en Guyane, qui gère les centres d'hébergement, confirme les propos de la Cimade : donner l'asile aux Haïtiens "n'est pas dans la politique de l'Ofpra". Au fil du temps cette population s'est donc détournée de cette voie légale. "Très peu d'entre eux demandent l'asile, ils savent que c'est mort", commente Olivier Morel, responsable administratif et financier de l’association.

 

Des enfants se lavent à la source d'eau de Piste Tarzan. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants
Des enfants se lavent à la source d'eau de Piste Tarzan. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants

 

Si l'asile politique est un échec, beaucoup tentent alors d'obtenir des permis de séjour pour des raisons économiques, sanitaires, ou pour pouvoir faire des études - des titres de courte durée dont l'octroi est conditionné par une flopée de documents administratifs et une attente de longue haleine.

"Propriétaires"

Même pour ceux qui décrochent le précieux sésame, les bois restent l’option privilégiée. "C'est difficile de louer une maison car il leur faut un contrat de travail", explique Herminia, médiatrice en santé publique chez Médecins du monde, qui organise des maraudes dans les environs.

Ici, c'est le système D. Le long des "rues" poussiéreuses, les cabanes faites de tôle et de planches de bois ressemblent à de vraies petites maisons, équipées de fenêtres, de verrous aux portes et même, parfois, de terrasses. Un aménagement qui en dit long sur les habitants : quand ils atterrissent à Piste Tarzan, les Haïtiens savent qu'ils vont y rester longtemps. "Les personnes vivent parfois à huit dans une pièce. Cela peut durer 5 ans, 10 ans, 15 ans", dit Herminia.

 

Olivier près de la maison qu'il a construite dans le bidonville de Piste Tarzan. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants
Olivier près de la maison qu'il a construite dans le bidonville de Piste Tarzan. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants

 

Olivier, un charpentier haïtien de 28 ans, a construit sa maison avec l'aide de quelques amis : une petite pièce, une minuscule cuisine et un coin toilettes à même le sol. "La construction m'a coûté 300 euros et a duré quatre/cinq semaines", affirme-t-il. Aux yeux de la communauté, il est désormais "propriétaire", terme employé pour ceux qui ont bâti leur toit de leurs propres mains. Ceux-là peuvent ensuite louer leur logement aux nouveaux arrivants dans le quartier - tous ceux qui n'auraient pas la capacité d'en construire un à leur tour. Le tarif avoisine généralement les 100 euros par mois.

"La vie est anormale pour moi"

À son arrivée en Guyane en 2016, Olivier a vécu, dans un premier temps, dans un appartement à Cayenne. Mais après avoir été débouté de sa demande d’asile, et avoir perdu l'ADA (allocation pour demandeur d'asile), il a dû quitter son logement. 

>> À (re)lire : "Le voyage n'est jamais fini" : l'improbable exil de Syriens vers la Guyane

Il s'est retrouvé "dans la galère", sans argent, et a fini à Piste Tarzan. Grâce à un réseau et quelques contacts, Olivier, qui dit "ne pas avoir été persécuté" en Haïti mais être venu en Guyane dans l'espoir de faire des études, a réussi à obtenir une carte de séjour pour raisons économiques qui expire dans quelques mois. "On a eu du mal à survivre, à se loger, du coup j'ai été obligé de venir dans ce bidonville", explique-t-il, "là où il y a les clandestins".

 

Dans les allées de Piste Tarzan. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants
Dans les allées de Piste Tarzan. Crédit : Dana Alboz/InfoMigrants

 

Dans la nuit du 22 au 23 octobre, un incendie s'est déclaré à Piste Tarzan. Plusieurs cabanes ont été détruites. Marise était "propriétaire" de la sienne. "C'est un ami qui m'avait construit la maison avant de partir en France, c'était un cadeau", explique cette femme de 29 ans coiffée de tresses roses. Le logement a brûlé avec toutes ses affaires à l'intérieur. "Je n'ai plus rien, juste la robe que je porte", montre-t-elle. 

Venue en Guyane il y a quatre ans par "manque de moyens économiques" dans son pays d'origine, elle est toujours dans l'attente d'un rendez-vous avec la préfecture pour sa demande de permis de séjour. Et désormais, le peu de choses auxquelles Marise pouvait encore se raccrocher se sont écroulées. Dans tout cela, elle voit une fatalité : "La vie est anormale pour moi".

*Le prénom a été modifié.

 

 

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