Source : Médiapart - Nejma Brahim - 16/11/2020
Au cours des dernières semaines, plusieurs cas de Covid-19 ont été répertoriés dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) en Île-de-France, mettant en lumière des dysfonctionnements dans la gestion des cas contacts et cas positifs durant leur isolement.
Au bout du fil, la voix est enrouée. Dans la chambre qu’elle partage avec une autre femme dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) d’Île-de-France, Ines* songe aux dernières semaines qu’elle a vécues. « Ça a commencé par de la fièvre et une toux importante début octobre, se souvient-elle. Je suis allée à l’hôpital pour me faire tester, mais on m’a répondu qu’il fallait attendre une certaine période d’incubation, soit huit jours, avant de faire le test. »
Une fois le délai passé, la jeune femme se sent trop faible pour pouvoir se rendre à l’hôpital de nouveau. « J’ai demandé de l’aide au Cada pour m’emmener aux urgences, mais on m’a dit de me débrouiller et d’appeler le 15 », s’époumone Ines, entre deux toussotements. Une fois le test PCR réalisé, c’est l’Assurance-maladie qui lui apprend, par téléphone, qu’elle est positive au Covid-19.
Elle est alors placée en quatorzaine dans un immeuble appartenant à l’association Coallia, en charge du Cada où elle est hébergée [l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), qui coordonne le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés, en délègue la gestion à différents opérateurs – ndlr].

Mais à son arrivée dans le studio, c’est la douche froide. « Le logement était insalubre. C’était sale partout, les murs avaient jauni. On aurait pu récurer le sol tellement c’était crade. » Tout de suite, Ines a la désagréable sensation que le studio n’a pas été nettoyé après le départ de la personne isolée avant elle.
« La gestionnaire qui m’accompagnait pour l’installation était très étonnée. Elle a soupiré “Oh, il n’a pas nettoyé !”, puis a essayé de cacher sa surprise », assure la demandeuse d’asile, ajoutant que l’accompagnatrice aurait elle-même changé les draps après avoir constaté que le linge de lit du locataire précédent était resté en l’état.
Diallo*, un autre résident du Cada considéré comme cas contact, a lui aussi été placé en quarantaine dans ce même logement. Son colocataire a été testé positif au Covid-19 et contraint à l’isolement dans leur chambre collective. « C’était dégueulasse à mon arrivée, la peinture des murs était en piteux état. Mais je ne pouvais pas dormir dehors, je n’avais pas le choix. J’ai demandé à ce qu’on me ramène des produits désinfectants et j’ai nettoyé moi-même le sol. »
Pour Nordine Djebarat, directeur régional de Coallia en Île-de-France, la notion d’insulabrité est démesurée. « On parle d’hébergements financés par la puissance publique. Que les locaux ne soient pas flambant neufs, peut-être. Mais si le lieu doit servir à la quarantaine, cela me semble impossible que Coallia ait mis à disposition des chambres dans un tel état », argue-t-il. Selon lui, pour le nettoyage, les établissements ont le choix de faire appel à un catalogue spécialisé ou à leurs propres équipes de service.
L’association a mis en place, dès le début de la crise sanitaire en mars dernier, un « plan de continuité de l’activité » avec l’objectif de repenser l’accompagnement social et la relation à l’usager dans le respect des gestes barrières notamment. « Du gel hydroalcoolique et des masques nous sont fournis par la Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl), à la fois pour nos salariés et les usagers », rappelle le responsable de Coallia.
Sur le plan sanitaire, l’opérateur de l’Ofii doit rester en lien étroit avec l’Agence régionale de santé (ARS) du département et suivre un protocole clair en cas de contaminations dans un Cada ou un Huda (Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) : une fois l’ARS alertée, la personne testée positive doit être isolée, soit sur la structure si celle-ci le permet, soit dans un centre Covid dédié indépendant de Coallia. Une situation déjà observée dans un Cada situé à Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis, où une famille testée positive a été orientée par l’ARS vers un centre le temps de sa quarantaine.
Au total en Île-de-France, Coallia gère 15 Cada d’une capacité totale de 1 810 places et 10 Huda (891 places). Au cœur de la deuxième vague le 9 novembre, 83 résidents étaient touchés par le Covid-19 et 114 étaient considérés comme cas contacts. Des chiffres en augmentation depuis deux semaines, selon le directeur régional. « Aucun décès n’est à déplorer. Je considère donc pour l’instant que nous sommes relativement épargnés, même si ces chiffres ne sont que déclaratifs. »
Problème, l’état de non-propreté du logement dédié à la quarantaine, dénoncé par les deux demandeurs d’asile, se serait accompagné de dysfonctionnements dans la livraison des denrées alimentaires. Car dans le cadre du protocole, Coallia doit, en plus d’isoler les cas contacts et cas positifs, assurer les repas des personnes concernées, qui reçoivent la consigne de ne pas sortir.
« Quand ils m’ont emmené dans cet immeuble, ils m’ont dit de ne rien prendre avec moi, y compris la nourriture, alors que j’avais des provisions dans ma chambre, relate Diallo. Les repas qu’ils m’ont apportés les deux premiers jours étaient pré-cuits et devaient être réchauffés pour pouvoir être mangés. Sauf que ni le frigidaire ni les plaques électriques ne fonctionnaient. »
« J’étais tellement désespéré que je suis allé demander à manger aux voisins »
Même son de cloche pour Ines, qui s’aperçoit très vite que les plaques électriques ne fonctionnent pas. « Un jour, j’ai voulu faire bouillir de l’eau tout un après-midi, en vain, se souvient-elle. C’était justement pour réchauffer les plats pré-cuits en barquette qu’on m’avait apportés les premiers jours. Je me suis plainte auprès du Cada pour leur expliquer que c’était immangeable en l’état. On m’a répondu que je pouvais les laisser au frigo si je n’en voulais pas. »
Surpris par ces déclarations, Nordine Djebarat, le directeur régional de Coallia, rappelle que deux scénarios sont possibles pour la livraison des repas. « Soit la personne a de quoi réchauffer le plat chez elle, soit le repas doit être servi chaud. Dans le deuxième cas, la règle, c’est qu’il ne peut pas y avoir de distribution de plateau froid. C’est à un voisin, un travailleur social ou un salarié de Coallia de faire réchauffer le plat et de le déposer devant la porte », affirme-t-il, évoquant un « probable dysfonctionnement » si les faits sont avérés.
Julie*, la colocataire de chambre d’Ines, a elle aussi été mise en quarantaine car considérée comme cas contact. Restée au Cada, elle raconte avoir été confrontée au même problème durant plusieurs jours, sans pouvoir se rendre à la cuisine collective au risque de contaminer d’autres personnes. « Les plats qu’on m’apportait devaient être réchauffés huit minutes avant consommation. Nous n’avons pas d’électroménager dans la chambre, c’était donc impossible à manger. »
« S’il n’y avait eu que ça…, soupire Ines. Il se trouve que je suis aussi restée deux ou trois jours sans manger parce qu’on ne m’a rien livré. La première semaine, je n’ai rien eu toute la journée du jeudi et de vendredi, jusqu’à tard le soir où quelqu’un est venu m’apporter de la nourriture. La deuxième semaine, j’ai passé trois jours sans repas. J’ai téléphoné au Cada, on m’a dit que mon travailleur social était absent. Ils m’ont dit qu’ils allaient en parler à la directrice mais il n’y a rien eu jusqu’au jeudi, date à laquelle ma quarantaine prenait fin. »
« Ça a été la même chose pour moi lorsque j’ai été placé en quarantaine dans cet endroit. Je suis resté une semaine sans livraison de repas, et je n’ai même pas pu me plaindre car mon téléphone était tombé en panne », râle Diallo. Les deux résidents affirment avoir dû quémander de la nourriture chez les voisins, Ines auprès d’une dame lorsqu’elle l’a entendue passer dans le couloir, Diallo auprès des voisins habitant l’appartement d’en face. « La voisine m’a commandé un repas que j’ai divisé en plusieurs parts pour tenir jusqu’à la fin de ma quarantaine », explique la première.
Et le second d’ajouter : « J’étais tellement désespéré que je suis allé frapper chez eux. Je leur ai expliqué la situation, ils sont entrés dans mon logement et ont constaté que rien ne fonctionnait, puis ils m’ont apporté des repas à plusieurs reprises. Ils m’ont vraiment aidé. » Julie, la colocataire d’Ines à l’isolement au Cada, serait elle aussi restée sans livraison de repas plusieurs jours d’affilée durant la deuxième semaine de sa quarantaine, contrainte « de manger des cacahuètes et du chocolat » qu’il lui restait de ses propres provisions.
« De là où je suis, je ne peux pas entendre ça, réagit le directeur régional de Coallia. Il y a des règles et des procédures à suivre, des budgets alloués et des fournisseurs choisis pour cela. Même dans le cas où le livreur ne serait pas en mesure d’apporter un repas, il y a suffisamment de denrées alimentaires de type plats froids ou sandwichs pour compenser. Cela me paraît inconcevable d’avoir laissé des personnes sans repas plusieurs jours : cela va à l’encontre de la conscience professionnelle des travailleurs sociaux et des valeurs humanistes de Coallia. »
Contacté par Mediapart, le directeur général de l’Ofii, Didier Leschi, estime que si ces dysfonctionnements étaient avérés, ils relèveraient sans doute d’un acte isolé et ne refléteraient pas la politique générale de Coallia. « Il s’agit d’une association très professionnelle, un partenaire précieux dans l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés. L’encadrement de Coallia est très bienveillant », précise-t-il.
« Si c’est avéré, c’est inévitablement isolé et c’est grave, cela doit être sanctionné », prévient Nordine Djebarat. L’Agence régionale de santé d’Île-de-France n’a quant à elle pas souhaité s’exprimer, nous renvoyant vers les doctrines régionales de « préconisations en habitat » et de « procédures d’admission et de sortie » pour les populations spécifiques.
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Pour Ines, ces dysfonctionnements sont à l’instar de l’ambiance générale observée au Cada. « On est confrontés au quotidien à un chantage déguisé de la part de l’équipe dirigeante qui sous-entend qu’elle a le pouvoir de glisser un mot sur nous à l’OFPRA [l’office chargé d’étudier les demandes d’asile – ndlr] et qui nous rabâche que tout est gratuit pour nous dissuader de nous plaindre en cas de problème », confie la demandeuse d’asile. Un témoignage corroboré par un autre résident, qui affirme que « tout le monde a peur de parler en cas de souci et se méfie ».
« Si l’équipe éducative de Coallia se permettait de tels agissements, ce serait très grave. Cela caractériserait un double traumatisme pour des personnes qui ont fui leur pays pour rechercher la protection en France et qui retrouveraient des menaces ici », souligne le directeur régional de Coallia, à la fois dubitatif et gêné par la description de cette dimension managériale. Pour faire entendre la voix des demandeurs d’asile, Ines envisage de faire un signalement à l’Ofii dans les prochaines semaines.