Source : Le monde - Julia Pascual - 19/11/2020
Le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) publie chez Gallimard un « tract » sur l’immigration, qui paraît jeudi 19 novembre.
Un haut fonctionnaire en exercice qui se lance dans un essai sur l’immigration, l’exercice est suffisamment rare pour être souligné. Non que la parole de Didier Leschi, préfet, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), soit rare dans l’espace public – il s’exprime régulièrement dans les médias. Mais il s’attelle là à l’exercice d’une parole plus engageante en signant un texte d’une soixantaine de pages dans la jeune collection « Tracts » de Gallimard, qui doit paraître ce jeudi 19 novembre. « Etre un fonctionnaire républicain, ce n’est pas être un ectoplasme, c’est parfois prendre position », défend-t-il.
Intitulé Ce grand dérangement. L’immigration en face (64 pages, 3,90 euros), l’ouvrage livre un propos qui cherche à naviguer entre l’« angélisme » des uns et le « cynisme » des autres.
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A la tête de l’OFII, M. Leschi pilote plusieurs dossiers, au premier titre desquels le dispositif d’hébergement – passablement saturé – des demandeurs d’asile, mais aussi la délivrance de titres pour étrangers malades, les retours volontaires vers les pays d’origine ou encore une partie des procédures de regroupement familial ou d’immigration par le travail.
Redorer le blason de la France
C’est depuis ce poste de commis d’Etat que Didier Leschi entend, notamment, redorer le blason de la France. « Quand je me considère, je m’inquiète, quand je me compare, je me rassure », écrit l’auteur, qui liste tout ce dont nous n’aurions pas à rougir. « A situation comparable, les demandeurs d’asile dans notre pays reçoivent une allocation supérieure à celle qui est versée dans la plupart des pays d’Europe », écrit-il. Ou encore, à propos de l’aide médicale d’Etat (AME), qui offre un accès aux soins aux sans-papiers : « Dans l’ensemble des pays européens, au-delà de l’urgence où la vie de la personne serait en danger, un sans-papiers ne peut prétendre à la même gratuité des soins ».
C’est la limite de l’exercice de la tribune, forcément partiale : il ne rappelle pas qu’une partie des demandeurs d’asile – 20 000 personnes, selon un rapport publié en octobre par le Secours catholique, Utopia 56 et Action contre la faim – n’ont le droit ni à une allocation de subsistance, ni à un hébergement, parce qu’ils ont déjà été enregistrés dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Ou que le taux de non-recours à l’AME a été évalué à 49 % dans une étude de novembre 2019 de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Le recours à l’aide médicale de l’Etat des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas). L’exercice frôle l’acrobatie lorsque l’auteur voit dans la constitution de campements de migrants la manifestation d’une plus grande tolérance de l’Etat vis-à-vis des installations de fortune sur la voie publique.
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Pour autant, Didier Leschi ne détourne pas les yeux de plusieurs constats. « Parmi les 30 000 cartes de séjour délivrées pour étrangers malades, il peut arriver qu’il y ait des gens qui viennent pour notre système social généreux, mais cela reste limité », affirme-il au Monde.
« Choc des cultures »
De même, écrit-il, « en 2015, au moment où plus d’un million de migrants se sont dirigés vers l’Europe pour y demander l’asile (…) peu sont venus jusqu’à nous. C’est avant tout parce qu’ils avaient une appréciation négative des possibilités offertes par notre pays. » De quoi relativiser l’image d’une France dont la générosité et l’Etat-providence font effet d’appel d’air. « Viennent à nous les perdants du système européen de l’asile, écrit-il, ceux qui ont été rejetés des pays où ils espéraient s’établir », en particulier d’Allemagne, de Suède, d’Autriche. Les flux migratoires, sans surprise, reflètent notre histoire coloniale : aujourd’hui, « plus d’un [immigré] sur deux vient d’Afrique. Les Maghrébins représentent 30 % de l’immigration ».
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Le propos de l’auteur se fait plus personnel au sujet de l’intégration, dont il décrit l’« évanescence des moyens ». Il dénonce les « ghettos » urbains où se cumulent les misères et se concentrent les populations immigrées. « Le cœur du décrochage, c’est l’effondrement du tissu industriel et du mouvement ouvrier dans les années 1980, la mise au chômage des pères qui, du fait de la perte de leur utilité sociale, développe un sentiment d’indignité, avance M. Leschi auprès du Monde. C’est sur la base de ce sentiment qu’un certain nombre vont essayer de retrouver de la dignité dans une foi conservatrice, pour se protéger de l’évolution d’un monde moderne qui ne leur laisse plus de place. Se rajoute à cela l’arrivée de familles et de femmes qui vont être assignées à domicile ou qui vont trouver des emplois de plus en plus fractionnés. Et des enfants dont le mouvement pour l’égalité s’est cassé ».
M. Leschi évoque dans son texte l’émergence d’un « problème » qu’il nomme le « choc des cultures », apparu lors des dernières vagues d’arrivées avec lesquelles « les écarts sont souvent vertigineux », en matière de mœurs, de langue ou de religion. Il décrit le développement de « conduites sociales (...) opposées aux nôtres », favorisées par des politiques d’influence des pays d’origine. « Le parcours d’intégration est devenu plus long et plus difficile sous la pression de l’islam intégriste diffusé par mille canaux et par des Etats (...), écrit le haut fonctionnaire. Dans ce contexte, faire que les musulmans en France deviennent des musulmans de France, en les coupant au plan religieux de leur pays sources, est plus complexe qu’il n’y paraît. »
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Face à ces inquiétudes, M. Leschi ne plaide pas pour un « moratoire » sur l’immigration, telle que l’idée progresse aujourd’hui à droite. Il rappelle que les principaux outils de l’intégration demeurent le logement et l’emploi. Mais réaffirme au Monde qu’à son sens, « l’idée de l’hospitalité inconditionnelle ne peut provoquer que du chaos ». Il considère d’ailleurs qu’« il y a trop d’obstacles aux reconduites forcées