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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Olivier Bertrand - 14/11/2020

En France, ces dernières semaines, des étrangers sont incarcérés parce qu’ils refusent de passer un test Covid, préalable à leur expulsion. Cela vient d’arriver à un Tunisien sans papiers de 19 ans. Il avait témoigné auprès de Mediapart de violences policières à Lyon.

En septembre, un Algérien avait dénoncé sur Mediapart son passage à tabac au centre de rétention de Lyon. Des policiers, affirmait-il, l’avaient embarqué en lui tordant les bras, l’avaient frappé dans un espace dépourvu de caméra et, à son retour, il était couvert d’hématomes. J’avais appelé plusieurs témoins et le plus précis était Béchir (19 ans), le compagnon de chambre de la victime. Au téléphone, il était mesuré, précisait que les violences étaient parties d’une insulte lâchée par le retenu, indiquait que la plupart des policiers du CRA (centre de rétention administrative, où les étrangers en attente d’expulsion sont enfermés) se comportaient bien, mais qu’une brigade se montrait violente, provoquait les retenus, ce que d’autres sources confirmaient, indiquant que le commandant était alerté.

À l’intérieur d'un centre de rétention, celui du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne).
À l’intérieur d'un centre de rétention, celui du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne).
 

Une enquête administrative a été diligentée et une enquête a été ouverte par le parquet de Lyon. L’IGPN est venue prendre les dépositions de la victime (libérée ensuite rapidement par un juge des libertés et de la détention), ainsi que des personnels de l’unité médicale du CRA. Béchir a été auditionné également, car il avait témoigné auprès de Mediapart. Le policier venu prendre sa déposition dans sa chambre lui a posé de nombreuses questions, cherchant à vérifier s’il ne se contredisait pas. Une audition normale, sauf qu’à la fin l’enquêteur lui a montré des photos en lui indiquant qu’il s’agissait des visages des policiers présents le jour des faits : Béchir devait désigner l’auteur présumé, il n’y était pas. Le policier a insisté alors, affirmant que tous les fonctionnaires étaient là, lequel était le plus ressemblant ? Béchir a refusé de désigner l’un d’eux, « pour ne pas accuser à tort ». Il était sûr de son fait : le policier concerné est très reconnaissable, un métis d’environ 45 ans, un peu rond, avec une tache particulière au front. Le policier est reparti. Et les ennuis ont commencé.

Pendant ces deux mois, je suis resté en contact toutes les semaines avec ce témoin (les personnes retenues ont le droit de conserver un téléphone, si ce n’est pas un smartphone). Au téléphone, j’ai senti sa peur monter. Il s’est plaint d’abord plusieurs fois de provocations, toujours de la même brigade. Un jour où je l’appelais pour prendre des nouvelles, il a dit : « Justement ils arrivent », j’ai entendu des cris – sans pouvoir distinguer précisément ce qui se disait.

Le 19 octobre, les policiers lui ont demandé d’aller à l’infirmerie faire un test. Malgré la crise sanitaire, certains pays continuent d’accueillir les personnes que la France refoule, à condition qu’elles disposent d’un test PCR négatif. Pour la Côte d’Ivoire, ce dernier doit avoir moins de sept jours, pour le Mali moins de trois jours, pour la Tunisie moins de soixante-douze heures. Certains médecins, en rétention, refusent d’effectuer ces tests pour des raisons éthiques : ils sont là pour soigner des personnes, pas pour effectuer des tests à la demande de l’administration, et n’ont pas à lui fournir des résultats médicaux concernant leurs patients.

Ces tests étant destinés à expulser, beaucoup de retenus les refusent désormais un peu partout en France, alors que les clusters se multiplient (à Marseille, des tests ont été effectués mercredi dans une unité de vie, trois personnes étaient positives, elles se trouvaient toujours avec les autres hier, à Lyon une dizaine de personnes sont positives).

Béchir affirme, pour sa part, qu’il était volontaire pour les tests, mais il n’a pas compris ce qu’on lui demandait la première fois. Un policier a indiqué sur procès-verbal qu’il avait refusé le test, un juge des libertés et de la détention a prolongé sa rétention le 24 septembre, ce refus pouvant, selon lui, s’assimiler à un refus d’éloignement.

Les ennuis ont continué. Le Tunisien se plaignait d’insultes, de provocations, disait que les policiers l’accusaient d’avoir refusé d’autres tests et que c’était faux. Puis, le dimanche 1er novembre, il m’a appelé. Selon lui, des policiers, toujours de la même brigade, l’avaient conduit à l’isolement, puis frappé. « L’un d’entre eux a pris mes couilles dans sa main et il a serré tellement fort que j’ai hurlé. Ils m’ont dit : “Ferme ta gueule ou on t’attache.” » Ils lui auraient ensuite scotché les pieds et les poignets « trois ou quatre heures » avant de le laisser toute une nuit sur un matelas sans chauffage ni couverture. Sollicitée par Mediapart, la direction départementale de la police aux frontières réplique : « C’est de l’affabulation totale. »

Trois jours après ce coup de fil, il a été arrêté. Alerté par une association, j’ai contacté le procureur de Lyon, Nicolas Jacquet, pour lui exposer cette situation. La parole d’un homme contre celles de fonctionnaires de police, mais la situation me troublait : je craignais que cet homme soit en train de payer le fait d’avoir témoigné auprès de Mediapart, mais aussi auprès de l’IGPN, dans le cadre d’une enquête ouverte par ses services. Il a répondu qu’il allait regarder le dossier. Et, le lendemain, son parquet indiquait que « l’intéressé » se trouvait en garde à vue pour avoir refusé de se soumettre à quatre tests depuis septembre, avec des procès-verbaux « rédigés par trois fonctionnaires de police différents ». Ne pas se soumettre à ces tests constituait « le délit de soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière ». La procédure n’apparaissait « nullement résulter » du fait que Béchir avait témoigné, il serait donc jugé en comparution immédiate.

Avocats et associations d’aide juridique aux étrangers observent que ces déferrements se multiplient. Ils sont difficiles à comptabiliser, mais on recense au moins une vingtaine de condamnations la semaine dernière. Au départ, les parquets se contentaient de rappels à la loi ; à présent, des peines de prison tombent, ainsi que des interdictions de territoire français, dix ans pour un retenu du Mesnil-Amelot qui avait refusé des tests.

L’Observatoire de l’enfermement des étrangers considère que le refus de se faire tester, « obstacle très indirect à l’exécution d’une mesure d’éloignement », n’entre nullement dans les motifs qui caractérisent, dans le très précis code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), la « soustraction à une mesure d’éloignement ». Accessoirement, le code de la santé publique précise qu’« aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ».

À l’audience, jeudi 5 novembre, Béchir a redit qu’il n’avait nullement refusé ces tests. La 14e chambre du tribunal correctionnel de Lyon l’a condamné à trois mois de prison ferme et a révoqué une partie d’un sursis prononcé après un vol avec effraction, ce qui ajoute deux mois. Elle a demandé une incarcération immédiate. Ainsi, un homme qui avait témoigné contre les policiers d’un centre de rétention se retrouve en détention sur la base de procès-verbaux rédigés par des fonctionnaires du même centre. Au CRA de Lyon, ses compagnons de rétention disent que les policiers sont « vengés ». L’enquête de l’IGPN pour les violences de septembre reste en cours.

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