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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Hélène Constanty - 24/12/2020

Le centre de rétention administrative de Nice a été le théâtre de violences inédites. C’est là que, dimanche dernier, un Tunisien en situation irrégulière a été frappé par des policiers au point de devoir être opéré en urgence.

ymen Barhoumi, un Tunisien de 35 ans, a été opéré en urgence à l’hôpital Pasteur de Nice, le 13 décembre. Les médecins ont dû procéder à l’ablation de son testicule droit, « suite à un coup reçu en centre de rétention », peut-on lire sur son compte rendu d’intervention médicale. Mediapart a rencontré Aymen Barhoumi, en compagnie de son avocat, Samih Abid, trois jours après son opération, lors d’une audience au tribunal administratif de Nice, où il faisait appel de l’arrêté préfectoral du 13 décembre l’obligeant à quitter sans délai le territoire français.

Maître Samih Abid et Aymen Barhoumi au tribunal administratif de Nice le 18 décembre 2020. © HC Maître Samih Abid et Aymen Barhoumi au tribunal administratif de Nice le 18 décembre 2020. © HC

« Aymen est arrivé en France entier, il est aujourd’hui mutilé, gravement atteint dans son intégrité physique », a plaidé MAbid.

Tout commence par un banal contrôle d’identité dans une rue commerçante d’un quartier populaire du centre de Nice, samedi 12 décembre au soir. Aymen Barhoumi discute avec un groupe de personnes sur le trottoir, devant un magasin Lidl. Le contrôle d’identité se déroule sans heurt. Le jeune homme, de nationalité tunisienne, n’a ni passeport ni carte de séjour. Il reconnaît être en situation irrégulière sur le sol français. Les motards de la police nationale appellent leurs collègues de la police aux frontières, qui le font monter dans une fourgonnette pour le conduire à la caserne Auvare, le quartier général de la police nationale à Nice.

Le centre de rétention administrative de Nice. © DR
Le centre de rétention administrative de Nice. © DR

 

Après une première nuit en cellule, dans les locaux de la police, Aymen Barhoumi est conduit, le dimanche après-midi, à l’accueil du centre de rétention administrative (CRA), où sont hébergés les étrangers en attente d’expulsion, afin de procéder aux formalités d’admission. C’est dans le hall d’accueil du centre que tout bascule. 

« Lorsque je suis arrivé, deux policiers du CRA m’ont pris en photo et commencé à remplir un formulaire. Ils m’ont dit : “Alors, tu es revenu !” Je les ai reconnus : c’est eux qui m’avaient escorté jusqu’à la frontière après un premier séjour à Nice, début 2018. Lorsqu’ils ont voulu prendre mes empreintes digitales, j’ai refusé, puisqu’ils les avaient déjà. L’un d’eux, habillé en civil, a dit : “Regarde, il va recommencer à nous embêter à nouveau.” C’est alors qu’il m’a saisi par la gorge d’une main et plaqué contre le mur. Son visage était rouge. Son collègue, celui qui avait pris la photo, lui a prêté main-forte pour me plaquer contre le mur en criant :“Nique ta mère !” J’ai répondu par la même insulte. Comme j’avais la gorge serrée, j’ai bavé. Ils ont cru que je crachais. Ils m’ont menotté dans le dos après m’avoir fait tomber au sol. Ils m’ont mis un casque de boxeur sur la tête et m’ont serré les chevilles et les genoux avec du Velcro. L’un d’eux m’a écrasé la tête par terre avec son pied, un autre a posé son genou sur mes bras, au niveau des menottes. Alors que j’étais à plat ventre sur le sol, j’ai reçu des coups de pied sur le côté droit de mon corps, dans les côtes et les parties génitales. »

L’altercation prend sa source dans l’épisode de 2018. Arrêté une première fois en situation irrégulière à Nice, Aymen Barhoumi a été expulsé dans des circonstances mouvementées, qui ont laissé un mauvais souvenir aux forces de police.

Sans papiers, il avait alors déclaré qu’il était algérien. Mais il avait pris peur lorsque la police l’avait embarqué dans un avion à destination d’Alger et il s’était débattu pour éviter de monter à bord. Après avoir prouvé sa véritable nationalité tunisienne, il avait été reconduit en bateau dans son pays. Là encore, le voyage se passa mal. Enfermé dans une cabine, il avait décroché une barre de fer pour tenter d’ouvrir la porte. Les policiers durent lui mettre les menottes et lui faire une piqûre de sédatif pour le calmer jusqu’à son arrivée en Tunisie.

Pas de chance : les policiers qui l’ont accueilli au centre de rétention le 13 décembre sont les mêmes qui l’avaient escorté dans le bateau pour la Tunisie…

Après son tabassage, Aymen, toujours ligoté, a été transporté, comme un sapin de Noël, par plusieurs policiers jusqu’à un autre bâtiment de la caserne Auvare, afin d’être placé en garde à vue dans le cadre d’une procédure pour violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique, menaces de mort et outrage. Les policiers ont, en effet, considéré qu’il s’était montré violent, insultant et menaçant à leur égard.

La police n’a pas souhaité répondre aux questions de Mediapart, mais sa version des faits figure dans le procès-verbal de l’audition d’Aymen Barhoumi par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), en date du 18 décembre. L’officier de police judiciaire qui mène l’audition lui rapporte la version des policiers : « Ils ont déclaré que vous aviez refusé d’être signalé, refusé de porter votre masque, que vous les aviez insultés, menacés de les faire égorger par votre frère, craché sur eux en criant Covid. Vous auriez essayé de donner un coup de tête à l’un d’eux. Ils auraient été obligés de vous faire un balayage pour vous amener au sol. Vous vous seriez volontairement cogné la tête contre le sol, les obligeant à vous mettre un casque de protection. Selon leur témoignage, vous n’auriez reçu qu’un coup de diversion dans l’abdomen. »

Aymen Barhoumi conteste la version policière.

Ce qui est certain, c’est que le médecin qui l’a examiné avant le début de sa garde à vue, dimanche après-midi, a demandé qu’il soit amené aux urgences de l’hôpital. Le jeune homme, qui souffrait de violentes douleurs dans les parties génitales, a été opéré dimanche soir : l’équipe chirurgicale a dû procéder à une orchidectomie, c’est-à-dire à l’ablation de son testicule droit. Une opération traumatisante pour un homme, qui réduit sa capacité de procréation et porte atteinte à sa virilité. « Je me sens fatigué physiquement et perturbé mentalement », témoigne Aymen Barhoumi.

Le 15 décembre, après un nouveau passage aux urgences pour cause de douleurs dans les côtes, Aymen Barhoumi a porté plainte, en urgence, avec l’aide de l’association Forum réfugiés, qui assiste les détenus en attente d’expulsion dans le centre de rétention administrative. Puis la solidarité s’est organisée : les habitants du quartier où il était hébergé lors de son arrestation se sont cotisés pour payer ses frais d’avocat et le jeune homme a confié sa défense à MAbid.

Celui-ci a remporté une première manche. Le 16 décembre, il a fait appel, avec succès, de la décision du juge des libertés et de la détention qui avait ordonné le placement au centre de rétention administrative. Aymen Barhoumi est désormais libre, mais il est toujours sous le coup de l’arrêté d’expulsion, confirmé par le tribunal administratif. Son avocat a fait appel, mais cet appel n’est pas suspensif. Le jeune homme reste donc soumis à l’obligation de quitter sans délai le territoire, avec interdiction de revenir en France dans les deux ans à venir. Les services de police et de gendarmerie ont pour ordre d’exécuter la décision du préfet.

« Je voudrais pouvoir rester en France pour être soigné, suite à mon opération chirurgicale et demander réparation aux policiers qui m’ont frappé », proteste-t-il. S’il rentre en Tunisie, comment pourra-t-il assurer sa défense et faire valoir ses droits à réparation ?

L’affaire est désormais entre les mains de la justice pénale, saisie à la fois de la plainte des policiers et de celle de la victime. Le 16 décembre, le parquet de Nice a ouvert une enquête préliminaire à la suite de la plainte d’Aymen Barhoumi, confiée à l’Inspection générale de la police nationale. Dès le 18 décembre, l’IGPN a effectué une perquisition au centre de rétention administrative et procédé aux premières auditions des policiers et de la victime.

 

 

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