Lettre ouverte d'un Collectif de 60 professeurs de droit
Monsieur le président de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Le 19 janvier 2012, la République française a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir placé en rétention deux mineurs de nationalité kazakh.
Un des fondements de la condamnation internationale est simple et facilement compréhensible : les enfants ont été privés de liberté sans qu’aucune décision de justice n’ait été rendue à leur encontre ; ils n’ont ainsi pas bénéficié de leur droit à saisir un juge qui puisse garantir le respect de leurs droits et libertés fondamentaux lors de cette privation de liberté.
L’arrêt de la Cour est dépourvu de toute ambiguïté : la pratique française consistant à placer les mineurs étrangers en rétention est contraire à l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Cette Convention, ratifiée par la France en 1974, a été intégrée dans notre système juridique interne en tant que convention internationale. Elle occupe dès lors dans la hiérarchie des normes un rang supérieur à celui des lois, règlements et circulaires. Ses dispositions s’imposent par conséquent au législateur comme aux agents de l’Etat dans l’exercice de leur mission.
Toute rétention de mineurs aurait dû cesser
Dans ces conditions, au lendemain de l’arrêt susmentionné de la Cour européenne, toute rétention d’étrangers mineurs aurait dû cesser sur le territoire français, comme dans les territoires d’outre-mer soumis à la juridiction de la République française.

Or, force est de constater que tel n’est pas le cas. Récemment encore deux jeunes Afghans de 2 mois et demi et 3 ans ont été enfermés avec leurs parents dans le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) sur le fondement d’une circulaire ministérielle du 6 juillet 2012.
Ce texte qui permet le recours à la rétention administrative des mineurs dans des cas particuliers est manifestement contraire à la Convention mentionnée et devrait à ce titre être annulé prochainement par le Conseil d’Etat.
Respect de l’Etat de droit
On pourrait débattre ici du caractère inhumain du traitement ainsi infligé aux enfants, parfois âgés de quelques mois, enfermés dans ces centres de rétention.
Mais à côté de cette question cruciale figure également celle du respect de l’Etat de droit : notre système politique et juridique repose sur un ordonnancement des normes à raison de leur source ; le respect de cet ordonnancement constitue une des garanties fondamentales contre l’arbitraire d’Etat.
En l’espèce, comment expliquer que les services de l’Etat refusent de se conformer aux dispositions d’un texte placé si haut dans la hiérarchie des normes ?
Si l’Etat français, au travers de ses ministres, ses préfets et ses policiers, refuse délibérément de respecter les droits fondamentaux d’une catégorie d’individus, c’est bien l’ensemble des droits fondamentaux qui pourraient être violés. Le respect du droit et de la hiérarchie des normes par les organes de l’Etat n’est pas négociable.
Nous vous appelons donc instamment à garantir la conformité des pratiques administratives et des textes réglementaires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, condition sine qua non de l’Etat de droit.