Source : Mediapart - Carine Fouteau - 08/06/2017
Les associations de défense des droits des étrangers dénoncent la réponse sécuritaire apportée par Gérard Collomb au retour des migrants à Calais. Elles redoutent la poursuite d’une politique « déshumanisante » qu’elles jugent inefficace et dangereuse.
Par petites touches, l’orientation de la politique d’asile et d’immigration du nouvel exécutif, un mois après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, commence à apparaître.
Alors que l’exode vers l’Europe de dizaines de milliers de ressortissants du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne se poursuit (plus de 72 000 arrivées par voie de mer et de terre en 2017) et que les migrants continuent d’affluer à la frontière franco-italienne, à Paris et dans le Calaisis, les signaux vont dans le même sens : celui d’une absence de rupture avec la politique menée sous François Hollande, elle-même dans la continuité de celle conduite au cours de la décennie passée par Nicolas Sarkozy.
Les associations de défense des droits des étrangers interrogées par Mediapart s’inquiètent de cette logique répressive qui semble s’imposer, contre la réalité des faits, comme la seule voie possible à chaque recomposition gouvernementale.

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a pourtant d’abord laissé entendre qu’il se distinguerait de ses prédécesseurs en étant l’un des seuls à saluer l’accueil réservé par l’Allemagne aux réfugiés et en affirmant qu’Angela Merkel avait « sauvé l’honneur de l’Europe ». Cherchant à élargir son électorat vers la droite, le candidat d’En marche! a ensuite recentré son discours sur la réduction des délais d’examen des demandes d’asile dans le but de faciliter l’expulsion rapide des personnes déboutées.
Présidente de la Cimade, association d’obédience protestante qui intervient dans les centres de rétention administrative (CRA), Geneviève Jacques a assisté à la formulation de cet « en même temps » cher au chef de l’État lorsque la Fédération protestante l’a reçu avant son élection. « Il a commencé, se rappelle-t-elle, par des propos positifs sur le fait que la France n’était pas envahie, que les arrivées n’allaient pas s’arrêter puisque les causes des départs n’avaient pas disparu et qu’il fallait mettre en place une politique d’intégration digne de ce nom. Malheureusement, il a conclu sur la nécessité de renvoyer systématiquement les déboutés du droit d’asile, ce qui est non seulement irréaliste – aucun gouvernement n’y est parvenu – et inhumain –, une telle politique aboutissant à pousser des milliers de personnes dans la clandestinité. D’autres voies d’accès au séjour doivent être ouvertes pour empêcher que ne se reconstitue indéfiniment la catégorie des “ni-ni”, ces étrangers ni expulsables, ni régularisables. »
Depuis son arrivée à l'Élysée, Emmanuel Macron n’a pas eu l’occasion de s’exprimer officiellement sur les questions d’asile et d’immigration. Mais il a déjà fait un faux pas remarqué, lors d’un déplacement le 1er juin au Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage atlantique d’Étel, dans le Morbihan, avec une « blague » sur les kwassa-kwassa qui « pêchent peu » mais « ramènent du Comorien ». « C’est mal passé », confirme le maire EELV de Grande-Synthe, Damien Carême, fer de lance des élus locaux appelant à un changement de cap de la politique migratoire.
Quatre jours plus tard, c’est le ministre de l’intérieur qui fixe le nouveau cadre. Et l’on comprend que le renouvellement n’est pas pour maintenant. Aux entraves des forces de l'ordre aux distributions d’eau et de repas à Calais (lire le reportage d’Haydée Sabéran), Gérard Collomb répond par l’envoi de policiers supplémentaires sur place. Dans un entretien au Parisien, le 5 juin, l’ancien maire de Lyon, qui avait déclaré à propos des populations roms, dans le sillage de Manuel Valls, qu’elles n’avaient « pas vocation à s’intégrer dans le pays », livre ses « priorités ».
D’emblée, il met l’accent sur la nécessité de « réprimer les atteintes à l’ordre public et [de] lutter contre les filières de passeurs », afin que « Calais et le Dunkerquois ne demeurent pas des lieux de fixation et que les “jungles” ne s’y reconstituent pas ». En recourant à l’expression de « point de fixation », répétée en boucle par les autorités depuis la destruction du bidonville, il confirme la politique d’invisibilisation menée depuis 15 ans – sans résultats – dans la région.
Après l’opération de « démantèlement », à l’automne dernier, les pouvoirs publics avaient refusé de considérer la proposition faite par plusieurs acteurs du secteur d’ouvrir des structures de transit dans les environs, comme si la disparition des cabanons et la dispersion des migrants dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) éloignés de la zone allaient suffire à épuiser les raisons de leur passage dans le Calaisis.« Le tout répressif n’est pas la solution ! Ne retombons pas toujours dans les mêmes travers ! », tempête Damien Carême, qui fustige le harcèlement policier dont font l’objet les quelque 600 migrants revenus à Calais. « Ces pratiques sont inhumaines ! », s’exclame-t-il. Au Secours catholique, Laurent Giovannoni, responsable des droits des étrangers, déplore le « déni de réalité » du gouvernement. « On ne s’attendait pas à des miracles, mais pas non plus à cette répression absurde, qui est contraire au respect des droits des personnes. Depuis la prise de fonction d’Emmanuel Macron, rien ne change, tout continue comme avant », regrette-t-il.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les exilés, comme à Calais, sont de retour à Grande-Synthe. Après l’incendie qui a ravagé, le 10 avril 2017 (lire notre article), le camp humanitaire ouvert par le maire et Médecins sans frontières, la plupart des réfugiés avaient été mis à l’abri dans des CAO. Mais certains s’étaient évanouis dans la nature, tandis que d’autres ont fait depuis leur apparition. Environ 300 Kurdes d’Irak ont ainsi trouvé refuge, ces dernières semaines, au Puythouck, qui signifie « mare aux grenouilles » en flamand, une réserve naturelle régionale constituée d’un lac et de bois. « Nous devons ouvrir des lieux d’accueil, pas seulement à Grande-Synthe, mais partout dans la région. De mon côté, je suis prêt à héberger jusqu’à 150 personnes, mais l’effort doit être collectif. Ce que j’attends du nouveau gouvernement, c’est qu’il cesse de parler d’appel d’air et mette en place avec les collectivités territoriales et les villes une vraie politique d’accueil. » « Le premier ministre Édouard Philippe a reçu 350 Syriens au Havre, je suppose que cela l’a sensibilisé à la question », espère-t-il. « La répression fait le jeu du FN », martèle-t-il, rappelant que Grande-Synthe est la seule ville entre Dunkerque et Lille à ne pas avoir placé Marine Le Pen en tête au premier tour de l’élection présidentielle. « Quand on travaille avec les habitants, cela marche. Tous les maires ayant accueilli des réfugiés vous le dirons, l’implication des citoyens crée des solidarités », assure-t-il.
« La crise humanitaire est le résultat du sous-calibrage délibéré des politiques d’accueil »
Après la nomination de Gérard Collomb place Beauvau le 17 mai, Damien Carême a aussitôt cherché à le rencontrer. « À 15 heures, le gouvernement était formé, à 19 heures je lui ai demandé un rendez-vous », raconte-t-il. Un premier échange téléphonique a eu lieu le 2 juin, dans l’attente d’une réunion en bonne et due forme. « Mon objectif est de le convaincre que l’appel d’air est un fantasme. Lorsqu’on a ouvert le camp à Grande-Synthe, en mars 2016, 1 300 personnes étaient hébergées. Cinq mois plus tard, elles n’étaient plus que 700. Leur nombre a ré-augmenté au moment du démantèlement de Calais. Aujourd’hui, il n’y a plus de camp, et pourtant les migrants sont revenus : leur présence sur la route migratoire correspond à des réalités qui n’ont rien à voir avec l’appel d’air. »
Cette logique de l’appel d’air, la Cimade tente de la déconstruire depuis longtemps. « L’approche sécuritaire accrédite l’idée que l’immigration est une menace », souligne Geneviève Jacques, qui rappelle avoir écrit au président de la République, dès son élection, pour lui demander de dissocier les questions d’asile et d’immigration des questions de sécurité et de terrorisme. « Le choix de Stéphane Fratacci comme directeur de cabinet de Gérard Collomb nous inquiète », indique-t-elle, notant que ce conseiller d’État a été secrétaire général du funeste ministère de l’immigration et de l’identité nationale entre 2009 et 2012. « Nous souhaitons que seul l’octroi des titres de séjour relève du ministère de l’intérieur, la santé, le logement, l’insertion et les visas devant être pris en charge par les ministères compétents, dans une optique d’inscription du droit des étrangers dans le droit commun. »
Dans son entretien au Parisien, le ministre de l’intérieur affirme sa détermination à poursuivre les renvois de migrants en vertu du règlement de Dublin III, qui fait du premier pays d’entrée dans l’Union européenne l’État responsable de la demande d’asile. Cette orientation va à l’encontre des attentes de la plupart des associations, qui demandent l’arrêt des transferts, car ils placent les demandeurs d’asile dans des situations d’errance administratives (voir leur campagne #stopdublin). « Il faut en finir avec cette politique qui symbolise l’absence totale de solidarité européenne. Depuis 30 ans, le chacun pour soi prévaut », regrette Laurent Giovannoni, au Secours catholique.
À Médecins du monde, Jean-François Corty s’étonne de l’absence de réaction du quai d’Orsay à la suite du récent attentat à Kaboul, au cours duquel 150 personnes ont perdu la vie. « On attend toujours la remise en cause de l’accord signé par l’Union européenne avec l’Afghanistan autorisant le renvoi massif de ses ressortissants », dit-il (lire également le communiqué de la Cimade). « On attend une réelle alternance avec la politique répressive mise en œuvre au cours des dernières années, poursuit-il. Mais les premiers signes ne sont pas rassurants. Que ce soit à Calais, à La Roya ou sur la route des Balkans, la crise humanitaire actuelle est le résultat du sous-calibrage délibéré des politiques d’accueil. Il faut inverser la tendance, cesser ces politiques déshumanisantes, prendre conscience que des milliers de personnes risquent leur vie pour venir en Europe et ouvrir des voies d’accès légales. »
Cette revendication de « corridors humanitaires » est partagée. À l’échelle intérieure, elle se double d’une exigence de mesures visant à faciliter l’insertion économique et sociale des migrants. « Nous demandons la généralisation des titres de séjour autorisant à travailler, ainsi que le transfert des moyens mobilisés pour les actions sécuritaires peu ou pas efficaces en faveur de cours de langue et de formations professionnalisantes, comme cela se fait en Allemagne avec succès », indique Geneviève Jacques, qui a formulé une demande de rendez-vous auprès du président de la République. Comme Jean-François Corty, la présidente de la Cimade espère enfin convaincre son interlocuteur d’en finir avec le délit de solidarité des personnes venant en aide aux réfugiés, et, à l’inverse, de valoriser les actions de la société civile, les plus à même, selon elle, de faire barrage aux réactions de repli et de xénophobie.