Source : La Voix du Nord - Élise Chiari - 09/09/2017
C’est un joli couple comme on en voit sur les bancs publics, doigts entrelacés, coups d’œil encore timides, sourires affectueux. Mais depuis le 28 août, les amoureux n’ont plus le temps de se bécoter. La préfecture a refusé à Azadar Hussain Sayed, 28 ans, la carte de séjour « vie privée et familiale » qui lui aurait permis de rester en France auprès de son épouse Daphné Hagneré, 21 ans. « On ne dort plus, j’ai annulé ma rentrée en master car moralement je ne me sens pas d’attaque », explique la jeune femme.
« Gentil, doux, sincère, protecteur »
Ces deux-là se sont rencontrés en janvier 2016, dans la jungle de Calais où 8 000 migrants cohabitaient. « J’étais en licence de Chinois à Arras et j’étais allée aider un ami du Secours catholique », raconte Daphné. Touchée par la situation, elle retourne sur place, encore et encore. Un jour, elle tombe sur le camp des Pakistanais. Un beau jeune homme aux yeux clairs, qui parle bien l’anglais, s’occupe de traduire pour le groupe. Daphné le trouve « gentil, doux, sincère, protecteur ». Azadar la trouve « belle, gentille ».
Ils se voient de plus en plus, se racontent leurs vies… et s’avouent leur amour. Azadar vient chaque week-end chez Martine, la mère de Daphné. Fin mars, il s’installe chez celle qu’il appelle désormais « maman ». Et le 24 mai, après deux enquêtes (l’une de la mairie et l’autre de la police aux frontières) prouvant la sincérité de leur relation, ils se marient à Étaples. « On avait l’habit traditionnel pakistanais, envoyé par le frère d’Azadar. On était bien… »

La suite, on la connaît. Le refus de la préfecture est un coup dur. La famille a pris les services d’un avocat pour déposer un recours. Daphné a monté un dossier avec des témoignages, des preuves de la volonté d’intégration d’Azadar. « Il prend des cours de français chaque semaine avec Roseline Gosselin, enseignante à la retraite », laquelle salue les efforts d’Azadar : « Il progresse vite, il travaille les leçons que je lui laisse par écrit, il a de la volonté. »
Azadar participe aussi aux ateliers menuiserie et cuisine du centre social et surtout, il a une promesse d’embauche écrite dans un restaurant pakistanais. « Il se prend en charge, c’est un refus incompréhensible », désespère Martine Hagneré. Outre le recours, Daphné et Azadar ont songé à partir au Pakistan demander un visa long séjour. « Mais la situation là-bas est dangereuse et nous n’avons pas d’argent pour vivre sur place », explique Daphné, qui conclut dans un sanglot : « Normalement, seule la mort doit nous séparer ».
« Un appel au secours »
Daphné et Azadar sont désespérés. « C’est un appel au secours que nous lançons aujourd’hui afin de permettre à mon mari de rester en France. Nous avons besoin du soutien et des idées des gens. » Une pétition a été lancée, que l’on peut signer ici.
Contactée, la préfecture indique que « la demande concernant ce cas est actuellement à l’étude ».
Un parcours de vie dramatique
Avant d’arriver en France, Azadar Hussain Sayed a dû affronter de nombreuses épreuves. Originaire de Parachinar au Pakistan, le jeune homme de 28 ans est Chiite, une minorité religieuse persécutée par les Talibans et Daesh. Sa ville est régulièrement l’objet d’attentats, de kidnappings et d’exécutions.
En 2014, son grand frère a été enlevé sur un marché et exécuté par les Talibans. Quelque temps après, Azadar et son père se trouvaient dans un bus qui a été attaqué sur la route par les Talibans, de nouveau. Azadar a reçu une balle dans le bras et son père est décédé. « Ma mère m’a dit de partir car c’était trop dangereux pour moi. Mon autre frère a voulu rester car il allait se marier », raconte Azadar.
Un an, de Parachinar à Calais
Pendant un an, à pied, en bus, en train, en voiture ou en bateau, Azadar traverse clandestinement l’Iran, la Turquie, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, l’Autriche, l’Italie. « Je dormais dans la forêt, je mangeais difficilement, souvent grâce à des associations. » Arrivé à Paris, son but est l’Angleterre. C’est comme ça qu’il se retrouve dans la jungle, pendant deux mois.

Maintenant qu’il a épousé Daphné, il aspire à rester en France. « On aimerait prendre un appartement, que je reprenne mes études, que lui travaille », rêve Daphné. Des nouvelles de sa famille, Azadar en a régulièrement. « Son frère a été gravement blessé dans une attaque, son cousin est mort… »
Parachinar est classé zone rouge par le ministère des Affaires étrangères et Amnesty international ne cesse de recenser des attentats, violences faites aux femmes, actes de torture…