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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Mediapart - Martine Déotte - 18/2/2019

Après deux ans de mariage et vingt six mois de clandestinité, Milad obtient enfin son premier titre de séjour d'un an, éventuellement renouvelable. Coût de l'opération : 650 euros. Histoire bien ordinaire de ce parcours.

Les Amoureux au ban public (section Ile de France), mouvement de couples franco-étrangers pour la défense de leurs droits à vivre en famille, a décidé de publier régulièrement des témoignages de couples rencontrés à leur permanence juridique (cf. sur ce même blog, le premier entretien du 31/01/2019  Couple binational : le droit de s’aimer ? )

Elle se tient sans rendez-vous, tous les jeudis à partir de 18H30 (sauf le 3ème jeudi du mois) au 58 rue des Amandiers dans les locaux de la FASTI 75020 Paris, métro Père Lachaise ou Gambetta.

Couple binational : des années d’angoisse.

En 2014 Barbara a 21 ans, elle poursuit à Paris ses études d’ingénieur. Elle rencontre Milad, un jeune Iranien de 26 ans qui demande en France le statut de réfugié politique. Il est alors « protégé » par son récépissé de demandeur d’asile.

Coup de foudre  : en 2015, ils décident de vivre ensemble.

Barbara est convaincue que Milad va obtenir le statut de réfugié : il lui raconte ce qu’il a subi. C’est tellement effroyable, c’est évident, il obtiendra son titre. Pour subvenir aux besoins du jeune couple, Milad, électricien, trouve assez facilement du travail au noir dans le bâtiment où il est évidemment très mal payé.

Pour obtenir son diplôme d’ingénieur, Barbara doit absolument faire des stages pendant l’année scolaire 2015-2016. Pour son avenir professionnel, il serait judicieux de les faire à l’étranger. Pour l’instant, tout est « rose », Barbara organise avec tranquillité la rentrée 2015, cherchant des lieux de stages qui l’intéressent. Ils sont heureux.

Effroi : en juin 2015, Milad est débouté du droit d’asile.

Son avocat veut saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme, il estime que Milad peut obtenir son statut de réfugié. Le prix demandé est exorbitant, ils sont incapables de payer. La procédure peut durer 4 ans et la réussite n’est pas assurée.

Milad devient en France un clandestin, il s’écroule. Il a fui son pays parce qu’il était menacé et la France le rejette.

En danger dans son propre pays, totalement indésirable en France.

Il oscille entre la colère, l’extrême tristesse, le sentiment d’injustice.

Il convient rapidement de revoir l’avenir, de trouver d’éventuelles solutions. Milad est « pressé de vivre ». Barbara abandonne ses projets de stages à l’étranger et décide d’ organiser son road trip en France envers et contre tout.

Comment continuer de vivre ensemble en subvenant à leurs besoins ? Comment protéger Milad ? Comment ne pas sacrifier la poursuite des études de Barbara ?

Après de longues discussions, des recherches, ils envisagent de se marier. Leur mariage sera célébré dans le lieu de résidence des parents. Trois mois pour constituer le dossier : ils se marient en novembre 2015.

Pour poser un dossier de demande de titre de séjour comme conjoint de Français, ils le savent parfaitement, il leur faut 6 mois de preuves de vie commune soit avant, soit après le mariage.

Barbara décide de faire pendant toute son année de stage du woofing dans des fermes biologiques en France : en échange de leur travail, ils seront nourris et hébergés. Milad va pouvoir également parfaire son français ! Ils demanderont à chaque exploitant une lettre sur l’honneur certifiant qu’ils vivent ensemble, ils prendront des photos, ils multiplieront les preuves de vie commune. Insouciants, ils entament leur tour de France de ferme en ferme !

Mariés depuis 7 mois, la fin de l’année scolaire arrivant, ils rentrent à Paris en juin 2016 et se rendent à la Préfecture avec toutes leurs preuves de vie commune. Ils n’ont pas encore compris, qu’avant d’aller à la Préfecture pour déposer un dossier de demande de titre de séjour « conjoint de Français », ils doivent passer par l’un des centres de réception des étrangers dans le XIV arrondissement, seul autorisé à délivrer un rendez-vous.

En se rendant à la permanence des ABP (amoureux au ban public), Barbara et Milad comprennent qu’ils n’ont finalement aucune preuve tangible attestant de la communauté de vie pour l’administration. Elle exige notamment : un bail, des quittances de loyer, des factures mensualisées : EDF, Eau, Téléphone, un avis d’imposition ou de non-imposition aux 2 noms. Leur dossier n’a strictement aucune validité pour l’administration.

Ils cherchent alors un petit appartement à Paris, Barbara doit terminer ses études. Il leur faut un bail aux 2 noms, pour satisfaire les exigences de l’administration préfectorale. Ils essuient une vingtaine de refus : bien que mariés, ayant l’un et l’autre des membres de la famille se portant comme « caution solidaire », aucun propriétaire n’accepte d’indiquer le nom de Milad sur le bail.

Seul le nom de Barbara apparaîtra. Les banques refusent d’ouvrir un compte joint, Milad ne peut évidemment pas avoir des bulletins de salaires puisqu’il travaille au noir. Malgré toutes ces difficultés, ils commencent à monter scrupuleusement leur dossier avec leurs preuves de vie commune selon l’administration. Chaque mois, ils doivent présenter un minimum de une à deux preuves. Cette occupation devient une véritable obsession.

Milad est sans papiers déjà depuis 1 an : il ne peut pas travailler légalement, n’a aucune protection sociale et risque le renvoi musclé en Iran.

En février 2017, enfin leur dossier est complet. Ils sont mariés depuis 15 mois ! Ils se rendent au centre de réception des étrangers qui reçoit sans rendez vous. Il contrôle juste les dossiers et n’accorde un rendez-vous en Préfecture, seulement si ces derniers sont conformes.

Barbara et Milad arrivent dès 4H30 du matin pour maximiser leurs chances d’être reçus dans la journée ; le dossier est complet. Ils obtiennent leur premier rendez-vous en Préfecture pour septembre 2017.

6 mois encore de vie clandestine pour Milad. 6 mois de précarité !

« Cette fois, c’est trop, c’est scandaleux. Nous n’en pouvons plus. Nous sommes effondrés ! »

Milad a toujours dans sa poche la photocopie de son acte de mariage qu’il pourra présenter s’il se fait arrêter. Avec un peu de chance, l’agent de police y sera sensible.

Le stress et la peur quotidiennes continuent.

Le jour fatidique arrive enfin : le père de Barbara les accompagne en Préfecture pour les soutenir moralement, espérant également que sa présence pourra rassurer l’employé a priori soupçonneux quant à l’union de Barbara et Milad. Ne s’agit-il pas d’un mariage blanc ou gris ?

Le dossier parfaitement classé avec d’un côté les photocopies, de l’autre les originaux est admis.

Obtention du premier titre de séjour d’1 an éventuellement renouvelable.

Côut de l’opération : 654 euros.

Mais, le bonheur est quasi absolu.

Après presque 2 ans de mariage et 26 mois de clandestinité, Milad peut enfin chercher légalement du travail, se déplacer dans la ville sans inquiétude. Il va bénéficier d’une protection sociale et pourra voyager.

Chaque jour la boule d’angoisse qui les empêchait de vivre depuis trop longtemps se desserre un peu plus.

Ils se réveillent enfin, comme tous les amoureux, en savourant simplement le bonheur de la journée qui s’annonce.

Il ne faut surtout pas baisser la garde, il convient de préparer très sérieusement le dossier de renouvellement. Si tout va bien, ils obtiendront la carte de séjour pluriannuelle, valable 2 ans (250 Euros).

A la fin de chaque mois, une exigence, toujours la même : comptabiliser les preuves irréfutables de vie commune au sens de l’administration.

Le gros classeur est toujours là sur le bureau, comme une menace.

ABP, section Ile de France, février 2019

 

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