Nous avons transcrit ici le texte d'introduction du document publié par le Défenseur des droits. Le document de synthese complet au format PDF se trouve ici : LES DROITS FONDAMENTAUX DES ÉTRANGERS EN FRANCE SYNTHÈSE / MAI 2016 Le site Passeurs d'hospitalité a commenté ce document |
Le Défenseur des droits estime que le respect des droits fondamentaux des étrangers est un marqueur essentiel du degré de protection des droits et des libertés dans un pays.
Les analyses juridiques développées dans ce document ne concernent que les droits effectivement consacrés par le droit positif et entendent souligner l’écart mesurable entre la proclamation théorique de ces droits et leur effectivité.
Il convient au préalable de souligner que :
- Concernant l’entrée, le séjour et l’éloignement, le droit positif autorise a priori les différences de traitement précisément fondées sur la distinction entre la catégorie juridique des « nationaux » et celle des « étrangers ». Dans ces domaines, le pouvoir discrétionnaire de l’État est important. Il n’est toutefois pas sans limite et ne saurait en aucun cas être discriminatoire. Il appartient au Défenseur des droits de rappeler que, même dans un domaine aussi régalien, le respect des droits fondamentaux doit être garanti.
- À l’inverse, dans la plupart des domaines de la vie quotidienne, protection sociale, enfance, santé, logement..., le droit interdit a priori d’établir des différences de traitement. Cependant, au-delà des pratiques illégales qui contreviennent à cette interdiction, comme les refus de scolarisation ou d’accès aux soins par exemple, c’est la règle de droit elle-même qui, en instaurant parfois des critères apparemment neutres, limite de fait le plein accès aux droits fondamentaux des étrangers.
Loin d’être naturelles et immuables, les règles de droit dédiées aux étrangers ou encore celles s’appliquant principalement à eux – qu’il s’agisse de l’étranger présent sur le territoire français depuis peu ou au contraire de celui dont la présence est ancienne – sont autant de choix opérés par le législateur et le pouvoir réglementaire qui reposent sur des considérations fluctuantes dans le temps. C’est dans ce contexte que se développent des idées préconçues, fréquemment alimentées par une peur irraisonnée des étrangers.
Aucune période de l’histoire de l’immigration, aussi intense soit-elle, n’a modifié le socle des valeurs républicaines communes. Ni le million de rapatriés et harkis au début des années 60, pas plus que tous les Portugais, Espagnols, Italiens, Algériens, Marocains, Tunisiens, venus ― pour travailler — dans les années 60 et 70. Ni les immigrés sub-sahariens que l’indépendance des Etats africains a conduits en Europe. Ni les 200 000 « boat people » au début des années 70 et ce, alors que la situation économique de la France commençait à se dégrader, que le gouvernement avait suspendu l’immigration de travailleurs et que la « maîtrise des flux migratoires » était déjà un enjeu du discours politique.
Dans ce domaine, les mots utilisés, véhicules des idées et des stéréotypes, ne sont pas neutres et sans conséquence. Migrants, réfugiés, clandestins, sans papiers, immigrés, exilés sont autant de mots rarement utilisés de manière indifférente. Si l’objet de ce document est de nommer « étrangers » la catégorie juridique des individus qui n’ont pas la nationalité française, le Défenseur peut être amené à utiliser le mot « migrant » pour décrire le sort des personnes, sujets de droits dans un processus d’émigration, d’immigration, de déplacement. Ce terme a longtemps été vu comme le plus neutre. Depuis une période récente, il a néanmoins, tendance à être utilisé pour disqualifier les personnes, leur dénier un droit à la protection en les assimilant à des migrants « économiques », dont l’objectif migratoire serait utilitariste et, partant, moins légitime que celui lié à la fuite de la guerre ou des persécutions, opéré par le réfugié. Ainsi, malgré les bonnes intentions tendant à souligner le contexte dans lequel ces personnes ont fui leur pays, l’appellation de « réfugié » est à double tranchant en ce qu’elle peut inciter à distinguer, une fois de plus, les « bons » réfugiés, ceux qui pourraient prétendre à une protection au titre de l’asile, des « mauvais » migrants dits économiques, ce qui n’a pas de sens.
Cette distinction conduit à jeter le discrédit et la suspicion sur les exilés dont on cherche à déterminer si leur choix d’atteindre l’Europe est noble, « moral » et pas simplement utilitaire. Avec, à la clé, le risque de priver de protection des personnes qui sont en droit d’en bénéficier. C’est cette logique de suspicion qui irrigue l’ensemble du droit français applicable aux étrangers ― arrivés récemment comme présents durablement ― et va jusqu’à « imprégner » des droits aussi fondamentaux que ceux de la protection de l’enfance ou de la santé. Ainsi qu’il va être démontré tout au long de ce document, le fait que le droit et les pratiques perçoivent les individus comme « étrangers » avant de les considérer pour ce qu’ils sont en tant que personne, enfants, malades, travailleurs ou usagers du service public, conduit à affaiblir sensiblement leur accès aux droits fondamentaux.